La guerre du leadership de l’opposition a trop longtemps desservi la lutte d’opposition. Le régime l’a si bien compris qu’il a institué le chef de file de l’opposition à travers ce texte de loi inacceptable du 12 juin 2013. Il faut arrêter de toujours brandir l’étendard pour montrer qu’on est le premier, et qu’on doive être le chef de l’opposition.
La proclamation du multipartisme en avril 1991 sous la pression populaire est une victoire du peuple tout entier sur le régime despotique. Raccrocher aussitôt cette victoire au porte manteau pour faire un parti unique de l’opposition derrière un homme est une régression dans l’optique de la lutte pour la démocratie.
L’idée d’écrire cet article vient de la virulence des propos sur le leadership de l’opposition au lendemain de ces élections du 25 juillet 2013. Et l’objectif visé est d’amener ceux qui n’ont pas le temps de suivre l’évolution de la situation politique ou les informations nécessaires pour comprendre la nature profonde de ce problème du leadership d’éviter d’en faire un problème de personne, ce qui conduit fatalement à se ranger derrière tel chef de parti ou tel autre comme d’habitude, ou à soutenir « inconditionnellement » tel parti ou groupe de parti et en vouant les autres aux gémonies.
La guéguerre pour le leadership au sein de l’opposition togolaise ne date pas d’aujourd’hui. Elle a toujours été une constante de la lutte d’opposition dès avril 1991, date de la fin du parti unique avec la proclamation du multipartisme. Elle a pris des proportions catastrophiques depuis la réduction de la lutte d’opposition pour la démocratie en une compétition électorale entre partis d’opposition pour le pouvoir ou la première place à partir de février 1992. La virulence des propos au lendemain de ce scrutin du 25 juillet 2013 n’est qu’une forme exacerbée d’un problème ancien.
La guerre du leadership a commencé à partir du jour où les partis nouvellement créés à ce moment-là (et certains des partis sortis de la clandestinité grâce à l’instauration du multipartisme), avaient transformé la lutte populaire pour la fin du régime de dictature (autrement dit lutte pour la conquête de la démocratie) en une lutte fratricide entre partis d’opposition pour le pouvoir tout de suite, ou pour la jouissance d’une parcelle du pouvoir dictatorial.
Il faut être conforme à la réalité des faits historiques. Cette guerre pour le leadership avait frontalement opposé le Président du CAR (Yawovi Agboyibo) au Président de l’UTD d’alors (Edem Kodjo) (1992‑1998) ; puis dès avant 1998, l’UFC (Gilchrist Olympio) à tous les autres partis du courant majoritaire de l’opposition, en particulier ceux plus ou moins regroupés autour du CAR dans une coalition à géométrie variable.
Il faut souligner que les vrais organisateurs de l’UFC, ceux qui travaillaient alors pour le compte de Gilchrist Olympio, étaient Jean-Pierre Fabre et Patrick Lawson, aujourd’hui Président et Vice‑président de l’ANC. Dès le lendemain des élections présidentielles de juin 1998, les responsables de cette UFC originelle avaient fait comprendre que leur parti ayant « gagné » les élections, il leur revenait désormais de définir la politique d’opposition dans le pays. Cette position a largement contribué à la disparition du « Groupe des 8 » (1997-1999).
La guerre de leadership a inlassablement continué avec ses effets pervers au sein du CPS (Commission paritaire de suivi du dialogue intertogolais, 1999-2002), au sein de la CFD (Coalition des Forces Démocratiques, 2002-2003), tout au long du dialogue intertogolais (2003-2004), dans la « Coalition des Six » (déc. 2004-avril 2005), lors du 12e dialogue avec la nomination d’Agboyibo comme premier ministre le 16 septembre 2006…
Une des manifestations de cette guerre en 2006 est le refus de l’UFC de faire partie du Gouvernement conduit par le CAR, et auquel participera au contraire la CDPA avec trois postes ministériels. Les responsables de l’UFC profiteront de cette situation trouble pour se faire passer aux yeux des Togolais pour les représentants purs et durs de l’opposition.
C’est la déclaration de Patrick Lawson sur les ondes au lendemain de la proclamation des résultats des législatives du 25 juillet 2013 qui a ouvert les hostilités sur la question du chef de file de l’opposition. La déclaration renvoyait au texte de loi portant statut de l’opposition, qui est voté le 12 juin 2013.
Invité sur Radio Victoire deux jours plus tard, Atanshi Abalo martèlera plus d’une fois : « C’est eux‑mêmes qui avaient voté le texte ! ». Or ce texte, répétons-le, est foncièrement réactionnaire puisqu’il est destiné à affaiblir l’opposition, et si possible la démanteler. C’est pourquoi on est en droit d’être surpris de voir la direction de l’ANC l’invoquer pour justifier sa revendication du leadership de l’opposition.
Deux faits importants : le CAR n’avait pas voté le texte, même si l’argument avancé par ses représentants pour justifier son refus est chargé d’ambiguïtés. « Le CAR tient à souligner, à toutes fins utiles, que l’idée d’un chef ou porte-parole de l’opposition ne se conçoit pas dans le contexte d’un système politique non bipartite où chaque parti d’opposition a ses pratiques et valeurs de référence. » avaient répondu Agboyibo et ses amis pour exprimer leur refus.
Par contre, l’UFC avait voté le texte le 12 juin 2013. Il est vrai que ce parti avait éclaté depuis 2010, et que ni Jean-Pierre Fabre, ni Patrick Lawson n’étaient plus les lieutenants de Gilchrist Olympio. Mais l’UFC d’avant l’éclatement avait très favorablement accueilli l’invitation de Pascal Bodjona (26 février 2008). Et l’UFC a fait des propositions substantielles dont les rédacteurs du texte de loi se sont amplement inspirés.
Ainsi, après avoir proposé une définition, (juste par ailleurs), de l’opposition parlementaire et de l’opposition extra parlementaire, la lettre-réponse de l’UFC poursuit : « Le chef de l’opposition est le leader du parti de l’opposition qui dispose du plus grand nombre de sièges à l’Assemblée Nationale. En cas d’égalité de siège, le chef de l’opposition est le leader du parti ayant totalisé le plus grand nombre de suffrages. »
Il convient de rappeler qu’avant l’éclatement en 2010, la direction de l’UFC a toujours prôné un bipartisme, dont les deux composantes seraient d’un côté le RPT (parti du régime au pouvoir) et de l’autre l’UFC comme parti d’opposition. Dans cette situation politique particulière qu’est celle qui prévaut au Togo, il est évident que cette position prônée par l’UFC n’est pas seulement une aberration ; elle dénote une incompréhension totale de l’insurrection populaire d’octobre 1990.
La guerre du leadership de l’opposition a trop longtemps desservi la lutte d’opposition. Le régime l’a si bien compris qu’il a institué le chef de file de l’opposition à travers ce texte de loi inacceptable du 12 juin 2013. Il faut arrêter de toujours brandir l’étendard pour montrer qu’on est le premier, et qu’on doive être le chef de l’opposition.
La proclamation du multipartisme en avril 1991 sous la pression populaire est une victoire du peuple tout entier sur le régime despotique. Raccrocher aussitôt cette victoire au porte manteau pour faire un parti unique de l’opposition derrière un homme est une régression dans l’optique de la lutte pour la démocratie.
L’expérience a montré qu’aucun parti d’opposition pris isolément, qu’il soit chef de file ou non, ne peut pas renverser le rapport des forces en faveur de l’opposition dans les conditions actuelles de son organisation. Un tel parti ne pourra pas créer les institutions requises par un fonctionnement démocratique de la société togolaise. L’expérience a aussi montré que ce n’est pas par des coalitions, des collectifs ou des regroupements, tous aussi hétéroclites les uns les autres, que l’opposition atteindra l’objectif du changement.
Par contre, tout est possible avec une alliance politique solide et durable de partis politiques se fixant comme tâche prioritaire l’organisation de la masse des opposants en vue de faire émerger d’elle une force politique cohérente et durable. Une telle alliance politique n’a pas pour vocation de soutenir tel homme contre tel autre, ou tel regroupement de partis contre tel autre regroupement rival. Elle a pour vocation de définir la politique d’opposition à conduire, en y impliquant réellement la masse organisée des opposants.
Mais une telle alliance n’est possible que si elle est fondée sur une plateforme politique portée par un engagement fort de tous, et si l’objectif de la lutte d’opposition est défini de telle manière qu’il ne soit pas un facteur de division des partis d’opposition, mais un facteur de rassemblement.
C’est pour cette raison que la CDPA-BT a toujours milité pour une telle alliance politique et une implication massive des opposants dans le processus politique. C’est le sens du MFAO (Mouvement de la Force Alternative de l’Opposition).
Fait à Paris le 15 septembre 2013
Pour la CDPA-BT
Emmanuel BOCCOVI
Membre du Comité Exécutif
Secrétaire de la Section CDPA-BT France.