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Après 59 ans d’indépendance, le peuple togolais aspire toujours ardemment à la souveraineté nationale et à la démocratie : leur conquête, pour laquelle il s’est battu avec tant de vaillance, est toujours à l’ordre du jour. En effet, 3 ans après l’accession du pays à la souveraineté internationale le 27 avril 1960, les auteurs d’un coup d’Etat militaire ourdi par l’ancienne puissance colonisatrice, assassinaient, le 13 janvier 1963, le 1er président démocratiquement élu de la tout jeune République du Togo, ruinant le fruit de 20 ans de lutte victorieuse des partisans de la souveraineté nationale. Dès lors, le régime autocratique qui sera mis en place par la puissance impérialiste pour préserver ses intérêts, n’aura de cesse de brader ceux du peuple, notamment à travers des politiques régressives et antisociales, préconisées par les officines économiques et financières de l’impérialisme international, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale en tête : les conséquences, catastrophiques pour les populations, sont manifestes, plus de 50 ans après, à travers des conditions de vie où la moitié au moins des Togolais vit sous le seuil de pauvreté, plus de la moitié n’ayant pas accès à l’eau potable, système de santé, école allant à vau-l’eau etc.
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Le 5 octobre 1990, la révolte de la jeunesse avait déclenché, chez ce peuple aux conditions de vie dégradées, sous la botte du général Eyadema, président-fondateur du « Rassemblement du peuple togolais », parti unique, parti-Etat, l’impérieuse revendication du rétablissement des libertés fondamentales et la fin du régime d’oppression : malgré la violente répression des manifestations par l’armée, le pouvoir avait été contraint, en juin 1991, de reculer, en concédant une conférence nationale souveraine dont les suites avaient conduit à l’élaboration, puis à l’adoption par referendum, à plus de 97%, de la Constitution de 1992. Cette Constitution a été l’acte fondateur par lequel le peuple togolais entendait, souverainement, promouvoir l’avènement de la démocratie sur la Terre de ses Aïeux. « Toilettée », selon la formule consacrée, dix ans plus tard, en 2002, par une assemblée « nationale » monocolore, non représentative donc, du peuple qui l’avait adoptée, la Constitution avait été « amputée », en son article 59, des formules stipulant expressément que le mandat présidentiel de cinq (5) ans était limité à deux (2), sans aucune possibilité d’excéder ce nombre : En aucun cas nul ne peut exercer plus de 2 mandats, stipule l’article originel.
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En faisant sauter ce verrou essentiel, la classe politique au pouvoir ouvrait la voie à une présidence à vie au profit du général Eyadema et violait, en un acte qu’on peut légitimement qualifier de haute trahison, la volonté du Peuple souverain, en barrant résolument la route à une transition démocratique au Togo. Après quinze années ponctuées d’élections frauduleuses (dont la sanglante présidentielle de succession en 2005), suivies de répression des manifestations de contestation, et de troubles sociopolitiques, quinze années de sévère dégradation des conditions de vie des populations, appauvries par les politiques gouvernementales antisociales, la gabegie et la corruption ; quinze années après ce tripatouillage honteux de la Constitution, s’est déclenchée la mobilisation populaire de la fin 2017 (qui n’est pas sans rappeler les mouvements de 1990-1991) et qui réclame le retour à la Constitution originelle de 1992.
Cette revendication expresse n’est donc que la volonté du Peuple togolais de se réapproprier, dans son intégrité, l’acte souverain par lequel il inaugurait sa marche vers la démocratie et que le régime autocratique lui a dénié. Et, comme en 1990-1991, la mobilisation actuelle pour le retour à la Constitution de 1992 signifie la volonté du peuple de mettre fin au régime autocratique et antidémocratique qui l’opprime depuis 50 ans : en témoigne, le refus catégorique exprimé à travers les mots d’ordre de la mobilisation, de la candidature à un quatrième mandat, en 2020, de Faure Gnassingbé, parvenu par ailleurs au pouvoir dans un bain de sang.
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L’autre mot d’ordre central de la contestation actuelle du régime, directement « connecté » au premier (Retour à la Constitution de 1992 !), s’exprime dans la formule : Pas de réformes, pas d’élections ! Ce n’est en effet que par le jeu d’institutions antidémocratiques et le biais d’élections frauduleuses (sanglantes à l’occasion), toutes contestées, que le régime se succède indûment à lui-même : le peuple l’a bien compris ! C’est pourquoi, sur ce sujet également, son intransigeance est totale : le boycott des « législatives » du 20 décembre 2018 l’a confirmé, transformant en véritable mascarade, cette « consultation » que les ambiguïtés complices de la « feuille de route » de la CEDEAO ont fortement encouragé le pouvoir à maintenir. L’incontestable réussite du boycott n’est d’ailleurs pas tant à interpréter comme résultant du mot d’ordre des 14 partis politiques de l’opposition, la C14, que comme l’expression directe de la détermination du peuple et sa capacité à transformer cette détermination en réalité politique. C’est la tout première fois que, de manière aussi massive et résolue, le peuple togolais pose un acte collectif qu’il faut comprendre comme une profonde manifestation de désobéissance civile à l’égard du pouvoir. Et, loin d’être « analysé » comme lié à un échec de la C14, c’est plutôt la preuve que, en lançant le mot d’ordre de boycott, les 14 assuraient non seulement la cohérence de leurs exigences liées aux réformes institutionnelles, mais encore étaient ponctuellement « en phase » avec les aspirations du peuple.
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Ces aspirations se concentrent dans l’exigence de la fin du régime : c’est ce que signifient à la fois, la revendication du retour à la Constitution de 1992 et le refus de la candidature de Faure Gnassingbé en 2020, d’une part et, d’autre part, la réclamation expresse des réformes institutionnelles. Ces revendications politiques trouvent leur fondement dans l’échec global du régime qui, après 59 ans d’indépendance, n’a pas trouvé de solution à la dégradation des conditions de vie de populations qui végètent dans la pauvreté au sein d’une crise socioéconomique permanente, engendrée par les conséquences des politiques préconisées par les officines de l’impérialisme (FMI, Banque mondiale et consorts) pour le remboursement d’une dette qui n’est pas celle du peuple : dès lors, c’est la grande majorité dont la satisfaction des besoins est bradée ; elle n’a pas accès à la santé, à l’éducation, au logement décent ; les salaires, les pensions de retraite, les « revenus » des défavorisés sont laminés par la cherté de la vie, le chômage est galopant… Cette situation est devenue depuis longtemps intolérable pour les Togolais qui incriminent, à juste titre, les tenants du régime qui accaparent les richesses et se maintiennent au pouvoir par la corruption, la fraude électorale, l’oppression, le refus d’une transition démocratique et le verrouillage à leur profit de toutes les institutions de l’Etat !
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Le peuple en a assez ! Et le peuple est déterminé : les puissantes manifestations de la fin 2017 et le drastique boycott de la mascarade électorale du 20 décembre l’ont montré ! Le peuple sait maintenant que le régime est non seulement d’une incapacité réelle à régler le problème de ses conditions de vie, mais qu’il n’est pas prêt à céder le pouvoir, par une réforme appropriée des institutions qui mettrait bien évidemment un terme à sa trop longue et funeste emprise sur les affaires publiques et créerait les circonstances propices au changement sociopolitique. Quant à la « tactique » des dialogues auxquels ce régime appelle, régulièrement appuyé par ladite communauté internationale (CEDEAO et consorts), à chaque fois qu’il est en difficulté, dialogues dont les conclusions ne sont évidemment jamais appliquées, cette « manœuvre » politicienne vient d’être utilisée pour la 27ème fois ! Ne faut-il pas avoir la lucidité politique de reconnaître, enfin, que le régime ne laisse pas d’autre choix à ceux qu’il opprime que de décider : la stratégie de la lutte populaire au Togo, ne peut être fondée ni sur le dialogue, ni sur la participation à des élections perdues d’avance ?
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Quant à la coalition de 14 partis politiques de l’opposition, qui s’était engagée sur la ligne des exigences populaires, force est de constater qu’après le boycott collectif de la mascarade « électorale » du 20 décembre 2018, certaines de ses composantes en ont fait éclater le cadre et semblent renoncer à la lutte pour faire aboutir les exigences : Retour à la Constitution de 1992 ! Pas de réformes, pas d’élections ! Des membres de la coalition ont parlé d’échec et l’ont quittée après avoir ou non annoncé la fin de leur participation ; d’autres reprennent le cadre à leur compte, soit en affectant de poursuivre comme si rien n’avait changé, soit en proposant une recomposition. Quoi qu’il en soit, la C14 originelle a fini par imploser, victime des contradictions internes découlant de la disparité idéologique de ses membres et de l’absence de cohérence stratégique initiale. Et, pour tout dire, au fond, la C14 a sans doute davantage compté sur la CEDEAO et son supposé soutien, que sur la détermination populaire et la réalité sous-jacente d’un processus révolutionnaire.
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Les grands bouleversements en cours aujourd’hui en Algérie et au Soudan montrent que c’est la mobilisation des masses qui, déjouant de multiples pièges et manœuvres diverses, franchissant victorieusement les obstacles, est capable de maintenir les exigences pour chasser les régimes d’oppression et en finir avec « le système ». Ces mobilisations représentent un espoir pour tous les peuples d’Afrique dont les revendications portées par les masses exigent légitimement, comme au Togo, la fin de plusieurs décennies de pouvoir autocratique aux mains d’une « proto- dynastie » familiale s’appuyant sur une hiérarchie militaire et une classe politique corrompues, se maintenant grâce à la fraude électorale et au soutien de l’impérialisme qui l’a installé il y a plus de 50 ans : les ressources du pays ainsi que le produit du travail des populations sont l’objet de prédation organisée par les politiques antisociales des institutions économiques et financières internationales, la gestion des prébendes et la corruption au sommet de l’Etat.
Pour parvenir à mettre fin à ces longues années de désastre socioéconomique et politique, les travailleurs et les classes opprimées doivent se doter d’une authentique représentation politique indépendante, porteuse de leurs aspirations à la souveraineté nationale, à la démocratie et au bouleversement de leurs conditions socioéconomiques actuelles.
Nous proposons à tous les citoyens, travailleurs, organisations, à tous ceux qui partagent ces objectifs, d’ouvrir la discussion : quelle stratégie, avec quel outil politique, comment s’organiser pour les atteindre ?
Lomé, le 25 avril 2019
Pour le PA.DE.T
Le Secrétaire national,
Tétévi N. GBIKPI-BENISSAN
padet.togo@gmail.com