Retour sur le MFAO : 2- Le MFAO pour la démocratie
Comment mettre fin au régime de dictature pour se mettre en mesure d’instaurer la démocratie dans le pays ? Beaucoup se sont mis enfin à se poser la question à partir du 2 décembre 1991, quand les atermoiements et les intrigues de la conférence nationale ont permis à Eyadema de faire prendre d’assaut la primature pour reprendre le pouvoir.
Ne pas avoir trouvé une réponse adéquate à la question, a poussé la quasi-totalité des leaders du courant dominant de l’Opposition à transformer, à partir de 1992, la lutte d’opposition en une compétition électorale pour le pouvoir. Puis, d’élection en élection, de dialogue en dialogue, ils en sont arrivés à la conclusion que “Eyadema est trop fort”, et “qu’il vaut mieux collaborer avec lui que de chercher à le combattre”.
Koffigoh est le premier à exprimer clairement cette conclusion, et à se ranger derrière Eyadema. Kodzo et Ayeva finiront par faire de même tout en prétendant continuer d’être de l’Opposition. A partir du 14 avril 2004, ils prendront ouvertement partie pour le régime et son parti, le RPT, contre les autres partis d’opposition et contre les aspirations de la grande masse de la population. Et ils n’hésiteront plus à afficher clairement cette position lors du 11e dialogue (Juillet – décembre 2004).
Mais la traduction la plus évidente de la tendance à la collaboration est la revendication du partage du pouvoir avec le RPT par les trois partis restant de la “coalition des six” après les sanglantes élections du 24 avril 2005.
L’aboutissement de cette revendication est aujourd’hui la présence du CAR et de la CDPA dans le Gouvernement dit d’union nationale, tandis que les responsables de l’UFC continuent de bouder et de mordiller les jarrets du régime, parce que Faure et ses soutiens ont préféré donner le poste de premier ministre à Agboyibo, plutôt qu’à un membre de l’UFC.
L’analyse des mécanismes de la dictature et des modalités du renversement de la situation au profit de la démocratie, montre que le processus du renversement repose sur un rapport de force. Ce dernier est devenu défavorable à l’Opposition démocratique, parce que les tenants de la politique d’opposition dominante n’ont pas pris en compte ces mécanismes et leurs effets dans leurs stratégies de lutte concurrentielle pour le pouvoir.
En ne faisant pas cela, le courant dominant de l’Opposition s’est comporté comme si le système politique en vigueur dans le pays était le même qu’en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis par exemple, et qu’il suffirait, pour atteindre l’objectif de la démocratisation, que les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, se battent entre eux pour accéder au pouvoir selon le principe : “Que le plus grand de tous gagne !”.
C’est en réfléchissant à l’échec du courant dominant de l’Opposition –échec prévisible dès le début de la Conférence nationale– que l’idée de la nécessité de faire émerger de la masse de la population une Force Alternative d’Opposition (FAO) s’est imposée comme une exigence, affirme le document. La nécessité de transformer ce concept en un concept de lutte politique a imposé sa concrétisation sous la forme d’un vaste mouvement, le MFAO, poursuit-il.
Le concept de la FAO et celui du MFAO sont tout à fait opposés à l’idée suivant laquelle la lutte contre le régime de dictature serait l’affaire exclusive d’une élite d’initiés, réduite en plus à quelques leaders de partis d’opposition. Ceux-ci auraient vocation à penser et à faire à la place de la masse de la population, réduite au rôle d’applaudisseurs et à celui d’une clientèle électorale, que chaque prétendant au pouvoir doit s’efforcer de conquérir dans la course concurrentielle pour le fauteuil présidentiel.
Il se trouve que l’Opposition ne se réduit ni aux chefs des partis d’opposition, ni exclusivement à ces partis. Au contraire, “…c’est la masse de tous ceux qui aspirent aux libertés démocratiques et veulent en conséquence la fin du régime de dictature”2 dit le document. La tendance à marginaliser la masse de la population opprimée et à s’abstenir de l’organiser pour en faire une force politique capable de peser sur le cours des événements, est la source première de la faiblesse de l’Opposition.
Cette tendance explique aussi l’incapacité des leaders du courant dominant à exiger quoi que ce soit du régime en place, observe le document. “La force de l’opposition au régime de dictature réside dans la force organisée de la masse de tous les opposants” (cf. “Document MFAO”, chap. 2, pp. 29-30). Ces considérations et ces principes justifient la nécessité du MFAO.
Le Mouvement s’inscrit dans un milieu social particulier dont le “Document MFAO” fait une fine analyse. Il est marqué par une fracture sociale qui divise la population en deux catégories, ceux qui s’opposent au régime en place et qui veulent en voir la fin, et ceux qui le soutiennent ou font semblant de le soutenir pour diverses raisons.
Ces deux catégories comportent plusieurs sous-catégories. De leur analyse, il ressort deux séries de constats : En premier lieu, ceux qui s’opposent comportent une majorité de passifs qui aspirent pourtant au changement, mais attendent.
Dans le cas général, ils n’ont pas un niveau de conscience politique élevé du fait de l’obscurantisme politique cultivé pendant des décennies, et que la peur est érigée par le système en méthode de gouvernement. Ils sont victimes de l’aliénation résultant du fonctionnement du système de dictature. Ils sont donc très peu impliqués dans le processus politique. Ils constituent une force potentielle importante, dont la prise en compte judicieuse peut permettre à l’Opposition de modifier le rapport des forces en sa faveur.
En second lieu, la grande majorité de ceux qui soutiennent ou font semblant, le font sans conviction politique, poursuit l’analyse (“Document MFAO”, chap. 2, pp. 27-29). Ils soutiennent, soit pour des intérêts plus ou moins importants qu’ils tirent du système pour eux-mêmes, soit pour des raisons de sécurité individuelle ou familiale. Car, eux aussi peuvent être victimes de la répression et de l’arbitraire à tout moment. En conséquence, le niveau de conscience politique est bas pour l’immense majorité de cette catégorie aussi.
Partant du principe selon lequel l’objectif de la lutte d’opposition doit être un objectif rassembleur (“Document MFAO”, chap. 2, p. 33-35), et s’appuyant sur cet autre principe selon lequel l’opposition au régime de dictature tire sa force de la force organisée de tous ceux qui refusent ce type de régime, le MFAO se propose, non comme un parti politique de plus, mais comme un mouvement politique d’opposition d’envergure nationale.
Et il s’offre à la fois comme un cadre de pensée, d’information, de formation politique et civique, et un cadre d’action pour tous ceux qui aspirent vraiment au changement du système politique, et entendent agir ensemble avec d’autres sans considérations partisanes.
Par sa nature, lit-on dans le document, le MFAO est un mouvement de mobilisation et d’organisation. La mobilisation ne se réduit pas à des appels lancés pour des “marches de protestation” ou pour la participation aux scrutins, quels qu’ils soient, pour le compte de tel ou tel candidat. C’est un travail méthodique d’information, de sensibilisation et de mobilisation politiques visant l’élévation du niveau de conscience politique et du sens civique de la population.
“La conscience politique est ce qui permet au citoyen de comprendre la situation politique de son pays, de comprendre sa propre condition dans la société et d’être capable de l’expliquer, de découvrir et de comprendre les conflits d’intérêt d’où résultent les décisions qui pèsent souvent si lourdement sur les conditions de vie de la masse de la population. La conscience politique permet enfin d’aller au-delà des apparences pour pouvoir saisir la réalité des faits et des comportements des acteurs politiques… Associée à une information juste, suffisante et diversifiée, elle permet de mieux juger des faits politiques, de mieux connaître les acteurs politiques, de mieux se déterminer par rapport aux autres, et de faire des choix justes.” (cf. “Document MFAO”, chap. 2, § 2.2.2, p.42)
Parce qu’il doit être le mouvement de masse d’envergure national qu’il veut être, le MFAO ne peut pas se permettre d’être le mouvement d’un parti ou uniquement des partis d’opposition sous leurs formes actuelles. Il doit être porté par une alliance la plus large possible, alliance dans laquelle les partis de l’Opposition démocratique doivent constituer un noyau solide regroupant autour d’elle le plus grand nombre possible d’organisations de toute nature (syndicales, religieuses, associatives…).
Les partis politiques en question forment le noyau de l’alliance parce qu’ils sont d’accord sur les objectifs et les orientations politiques du Mouvement. Le MFAO est donc un mouvement à composantes multiples, toutes orientées vers un but premier, la fin du régime de dictature pour permettre la construction d’un système politique démocratique dans le pays.
Enfin, pour atteindre cet objectif, souligne le document, le MFAO est tenu de ratisser large. Pas seulement dans les milieux où l’on s’oppose au régime, mais aussi dans les milieux qui le soutiennent, le but de ce large ratissage étant de détacher du régime tous ceux qui le soutiennent sans conviction, et d’amener franchement à l’Opposition toute la masse des passifs qui attendent “pour voir”, ou qui ont peur de choisir le camp de la liberté et de la dignité.
Du point de vue de ses fonctions, le MFAO est le support essentiel de la politique alternative d’opposition dont la nécessité justifie sa création. Il apportera à cette politique tout l’appui dont il est capable. Chaque fois que nécessaire, il mettra dans la balance tout le poids de sa masse et de son organisation, pour modifier le rapport des forces en faveur de l’Opposition démocratique. Le MFAO est pensé pour être le fer de lance de la lutte pour la fin du régime de dictature. Par lui, la masse de la population prendra une part active au processus politique, en particulier à la politique d’opposition qu’elle contribuera ainsi à rendre démocratique.
Par son organisation et le niveau de conscience politique plus élevé de ses membres et de ses cadres dirigeants, le MFAO sera garant de la qualité et de l’efficacité du processus de la mise en place des institutions démocratiques après l’abolition du régime de dictature. Il sera le garde-fou pour canaliser ceux qui seront chargés de la conception, de la création et du fonctionnement de ces institutions, afin de les empêcher de s’engager dans cette politique du zigzag qui vide la démocratie de son contenu.
“Le MFAO entend apporter son appui actif et massif à ceux qui seront chargés de réaliser cette tâche, et son opposition ferme à toute tentative de déstabilisation ou de déviation de la voie démocratique au cours de cette phase transitoire d’après la fin du régime de dictature. C’est une organisation au service de l’Opposition. Il ne se substitue pas aux partis politiques.” (cf. “Document MFAO”, chap. 2, & 2, p. 35). Il intervient pour exercer des pressions appropriées sur le régime au profit de l’Opposition, afin de pousser le processus de démocratisation le plus loin possible.
Le document a abordé la question de la relation entre le MFAO et les élections (“Document MFAO” pp. 36-39), pour affirmer que les élections ont une place importante dans la vision du Mouvement. Ce que la CDPA BT a rejeté jusqu’à présent n’est pas le principe des élections comme voie privilégiée et la voie la plus souhaitable du changement politique et social. Ce qu’elle refuse, ce sont ces élections montées pour permettre au régime de se légitimer et de se perpétuer à chaque fois.
Le document fait alors un point rapide sur les scrutins qui eurent lieu depuis 1993, aussi bien les présidentiels que les législatives, et souligne que dans cette lutte de l’Opposition togolaise pour la démocratie, les élections se sont révélées n’être qu’une des pièces de la stratégie de conservation, de maintien et de pérennisation du régime de dictature. C’est pour cette raison que la CDPA BT a prôné le boycott de toutes ses élections.
La transformation des élections en une stratégie de maintien du régime Eyadema, a conduit une large fraction de la population à ne plus croire dans les élections comme voie d’accès à la démocratie et à la liberté au Togo. Cette tendance est renforcée par l’entêtement des leaders des partis du courant dominant de l’Opposition à aller à toutes les élections quelles qu’elles soient, juste pour se faire valoir sur la scène politique. (« On ne boycotte pas les élections ! » disent-ils).
Du coup, un grand nombre de Togolais ne pense plus qu’en termes d’armes à prendre pour venir à bout du système. Mais en réalité, l’Opposition n’a pas encore épuisé toutes les possibilités qu’offre la lutte politique pour le changement, lit-on dans le document. Avec le MFAO, non seulement il sera encore plus facile de toujours gagner massivement les élections, mais par l’organisation du Mouvement, par ses projets et sa capacité de résistance, il mettra les togolais en mesure de ne plus se laisser confisquer la victoire, et de la défendre avec succès, le cas échéant.
Lomé, le 15 juillet 2007
GU-KONU
Premier Secrétaire de la CDPA-BT
mai 23, 2017 dans Brochure.