- Depuis plus de trente années, le courant majoritaire de l’opposition togolaise a connu une errance politique qui n’a pas permis d’empêcher la transition de la quatrième à la cinquième république au Togo. Cette longue période a mis en lumière les limites de la stratégie adoptée ainsi que l’illusion entretenue par cette démarche. En effet, cette errance s’est notamment manifestée par des divisions internes persistantes au sein de l’opposition et par une incapacité à offrir une alternative crédible face au pouvoir en place. Ces faits illustrent la difficulté et le caractère illusoire du changement longtemps espéré
- Face à ce constat, il apparaît nécessaire de ramener l’opposition vers les principes fondateurs de la lutte pour la démocratie et la justice sociale. Ces principes reposent sur la mobilisation populaire, la défense des droits fondamentaux, l’exigence d’une politique alternative d’opposition, l’unité d’action ainsi que la construction d’organisations autonomes.
- Dans cette perspective, l’administration de la CDPA-BT publie un document structuré en cinq points, issu des travaux de son Conseil National tenu en 2002. Ce document a pour objectif de rappeler à l’opposition l’importance des orientations stratégiques adoptées lors de ce conseil et de proposer un cadre de référence, le MFAO, afin de renforcer la cohésion et l’efficacité de l’action commune face aux défis actuels.
- Enfin, la CDPA-BT invite ses militants ainsi que l’ensemble des démocrates de l’opposition à s’approprier pleinement ce cadre de référence.
Conseil National : Préface
La CDPA-BT avait tenu son Conseil national les 17-18 février 2001 à Kpalimé. Les documents issus des assises auraient dû être publiés depuis plusieurs mois déjà. Des difficultés d’ordre matériel en avaient décidé autrement. Nous sommes heureux de pouvoir le faire aujourd’hui.
Cette brochure se propose comme une contribution de la CDPA-BT à la recherche des solutions les meilleures au problème fondamental du changement du système politique du pays. Les textes réunis dans la brochure sont choisis parmi les documents du Conseil pour l’intérêt immédiat qu’ils présentent dans le cadre de la difficile lutte ouvertement engagée par les Togolais depuis dix ans pour la conquête des libertés essentielles.
Ce sont :
1 – le texte d’orientation des travaux du Conseil,
2 – l’allocution d’ouverture du Conseil,
3 – la résolution de politique générale et
4 – le texte du discours de clôture.
Ces quatre textes résument pour l’essentiel les positions de la CDPA-BT sur les grands problèmes politiques actuels du pays, en particulier le grave problème de l’abolition du régime despotique. Nous réaffirmons sans détour : l’abolition du régime despotique implique forcément un franc remplacement de la classe politique qui a régenté et ravagé le pays pendant des décennies par une nouvelle classe dirigeante plus soucieuse du bien-être de la population, plus attentive au respect des libertés publiques, plus respectueux des droits humains, plus préoccupée par le devenir de nos enfants et petits-enfants.
Le Conseil national avait eu lieu dans ce climat politique confus issus du « dialogue inter togolais ». La quasi-totalité des partis d’opposition s’était engagée sans réserve et avec précipitation dans ce « dialogue » pour lequel on n’avait pas manqué, une fois de plus, de jouer des coudes pour en écarter certaines formations qui souhaitaient pourtant y prendre part (1).
Des intérêts individuels et partisans étaient en effet en jeu. Le « dialogue » offrait à certains l’occasion de remonter en surface et de se repositionner sur la scène politique. D’autres y trouvaient l’opportunité de réaffirmer qu’ils représentent le parti d’opposition le plus important, et qu’ils devaient par conséquent occuper le premier rang de la scène politique. Et pour d’autres encore, le « dialogue » offrait l’occasion de montrer qu’ils sont là. Tout simplement. Du coup, on n’avait plus ni le temps ni la sérénité nécessaire pour examiner à fond les conséquences possibles de l’idée même de dialogue, et de sa mise en œuvre dans la lutte du peuple pour la fin du régime d’oppression.
Dans cette confusion générale, la CDPA-BT avait émis plus que des réserves. Elle avait mis en garde contre l’idée même du « dialogue », qui ressortait clairement dans ce contexte politique post-présidentiel comme une manière détournée de noyer le poisson, d’amener insidieusement à évacuer le contentieux électoral pour donner du champ au régime afin de lui permettre de retomber sur ses fesses.
En perpétrant le coup de force électoral, le régime s’était en effet déstabilisé lui-même. Et il était en quête d’un nouvel équilibre. Le blocage politique provoqué par le coup de force n’était pas à son avantage. Il était plutôt à l’avantage de l’opposition. Il fallait l’exploiter à fond, au lieu de chercher à débloquer la situation et à permettre ainsi au régime de s’en tirer à bon compte. Et il fallait, pour cela, mettre en mouvement cette écrasante majorité qui venait de voter contre Eyadema. Mais une fois de plus, on laissa passer l’occasion. On tourna la page avec célérité et on enterra le contentieux électoral.
Ceux qui avaient poussé sans réserve à la roue et n’avaient cessé de présenter le « dialogue » à l’opinion comme étant l’unique voie « pour sortir de la crise », avaient balayé du revers de la main tout autre point de vue. Et ce sont ceux-là qui déclarent aujourd’hui avoir été « floués » par le « dialogue », et affirment sans gêne, comme s’ils venaient de découvrir la lune, que l’Accord-Cadre de Lomé a permis à Eyadema de s’en tirer à bon compte !
Que ces hommes reconnaissent maintenant avoir été « floués » est une excellente chose, même si c’est par opportunisme dans le but d’en tirer des avantages politiques par ces temps de doutes et d’incertitudes où ceux qui aspirent au changement remettent de plus en plus en cause l’orientation dominante de la politique d’opposition.
Mais dans tous les cas, reconnaître à présent avoir été « floué » par le « dialogue inter togolais » fait un peu médecin après la mort. Ce n’est d’ailleurs pas l’Accord-Cadre seul qui a permis au régime de s’en tirer à bon compte. C’est l’idée même du « dialogue », l’empressement de certains des leaders huppés à sauter sur l’occasion et à se l’approprier, les modalités de la préparation et du déroulement des assises, la nature du CPS(2) et tout le reste…
C’est tout cet ensemble qui a permis au régime de se remettre sur ses fesses après le coup de force électoral, et de continuer plus que jamais à traiter les partis d’opposition comme des moins que rien. En se précipitant pour aller « dialoguer » une fois de plus, on a une fois de plus rendu un service inestimable au régime despotique. Et l’on a d’autant dévoyé la lutte engagée pour l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit dans le pays.
Les législatives anticipées étaient alors devenues plus que jamais le point de mire unique des partis de l’opposition depuis le « dialogue ». On a estimé que la transparence, la liberté et l’équité du scrutin seraient le signe de la bonne foi du régime et de sa bonne volonté à favoriser le processus de démocratisation, comme si on ne connaissait pas les hommes du pouvoir despotique. On s’est remis a parler d’unité nationale, de réconciliation nationale, de consensus, même de « parole de militaire », pour tenter de rassurer l’opinion. On a proclamé avec enthousiasme que ces législatives anticipées marqueront la fin de la « crise », et « mettront fin aux souffrances du peuple »! Et l’on a polarisé l’attention de tous les Togolais sur la reprise de l’aide financière de l’UE, en accentuant ainsi en eux le dangereux sentiment que leur survie dépend avant tout des libéralités de l’extérieur, et non pas d’abord d’eux-mêmes, de leur capacité à consentir un minimum de sacrifices pour balayer un régime despotique qui les opprime, les exploite et les maintient dans la misère.
Au moment de la tenue du Conseil, de grandes incertitudes continuaient de peser sur la probabilité de la tenue du scrutin, sur sa transparence et surtout sur l’équité des résultats. Mais l’euphorie l’emportait une fois de plus sur une appréciation réaliste du lendemain. Et les journaux indépendants en faisaient un écho bruyant. Aussi, c’était, –et c’est toujours– ramer à contre-courant que de chercher à aller au fond des questions, à appeler à plus de prudence et à moins de triomphalisme.
Comme on le verra dans la résolution de politique générale, le Conseil s’était donc gardé de toute prise de position définitive sur le problème des élections. Il a préféré laisser le débat ouvert, avec l’espoir que l’évolution de la situation apportera elle-même les éclairages nécessaires.
Depuis février, l’évolution politique n’a malheureusement pas cessé de confirmer les appréhensions formulées au cours du Conseil sur la question des législatives anticipées. Les incertitudes et la déloyauté ont pris des proportions telles que ceux qui affichaient hier un optimisme à toute épreuve sont devenus aujourd’hui les plus pessimistes, passant ainsi d’un extrême à l’autre.
Dans tous les cas, le régime finira par organiser « ses » élections. Et comme on devrait s’y attendre, à son heure ; à sa manière ; et dans les conditions qu’il veut. En attendant, et justement pour avoir les mains libres pour organiser à grande échelle la fraude cachée, il continuera de s’employer à occuper l’opposition sur d’autres terrains, à polariser les énergies des leaders huppés sur des faits inessentiels, à exploiter à fond les thèmes du « consensus » et de la « parité » pour bloquer tout ce qui dessert ses intérêts ou sert ceux de l’opposition démocratique, afin de détourner l’attention de l’opinion de certains problèmes (politiques et institutionnels) pourtant si déterminants pour l’équité du scrutin et de ses résultats.
Faut-il continuer dans la désastreuse logique des élections à tout prix ? Même si l’arbitraire le plus intolérable invite instamment à adopter une autre stratégie de lutte ? En tout état de cause, savoir si les législatives anticipées auront lieu ou non ne devrait plus être aujourd’hui la préoccupation essentielle. Car, elles auront lieu un jour, d’une façon ou d’une autre. La question essentielle se situe désormais au-delà du scrutin : comment les députés de l’opposition (majoritaires ou non) parviendront-ils à résoudre les graves problèmes qui se poseront au lendemain des élections sans une participation active de la masse de la population ?
Pour la CDPA-BT
Le premier Secrétaire
Prof. E. GU-KONU