1- Pourquoi cette question?
Poser cette question n’est pas faire de la provocation. Et elle n’a rien de méprisant. Dans notre lutte pour la démocratie au Togo, nous sommes parvenus à une croisée des chemins où il est devenu impératif de clarifier, de refuser de continuer de naviguer dans la confusion. Nous avons fait trop de ratages et sacrifié trop de vies humaines en refusant de voir les choses en face, et en mettant trop facilement tout dans le même sac. En politique comme ailleurs, penser naturel n’est pas toujours penser juste. Les apparences souvent peuvent être trompeuses.
Pourquoi serait-il offensant de dire que l’on court le grand risque de ne pas toujours comprendre une situation que l’on voit de loin, et sur laquelle on ne dispose donc souvent que des informations fragmentaires et souvent trop générales? Et pourtant, c’est bien le cas de l’immense majorité des Togolais par rapport à ce que nous appelons si couramment l’Opposition togolaise sans nous poser de questions, et par rapport à ceux qui parlent et qui font en son nom. Et cette immense majorité, c’est aussi bien la quasi-totalité des Togolais de la diaspora que la ceux de l’intérieur.
Les conditions de la lutte sont telles depuis 1990 qu’on ne peut vraiment pas comprendre l’Opposition togolaise et savoir qui est qui parmi ses leaders, si l’on n’a pas participé activement à l’évolution de la situation, si l’on n’a pas, par exemple, assisté aux réunions (pas aux meetings) du COD 1 et du COD II ; si l’on a pas vu les chefs de parti réagir au moment de la grève générale, des accords paritaires, des accords de Colmar, des accords de Ouagadougou; si l’on n’a pas participé aux diverses réunions des leaders de l’opposition, au moins aux réunions du « Groupe des 8 » (1997-1998), à celles qui ont précédé et suivi la naissance de la fameuse « Coalition des Forces Démocratiques » ( CFD, octobre 2002 – juin 2003) ; si l’on n’a pas suivi de très très près le dialogue inter togolais et les réunions du CPS (Comité paritaire de suivi) ; si on n’a pas suivi les péripéties de la campagne électorale de 2003 ou le dialogue inachevé d’après les présidentielles de juin 2003 etc. Or, c’est le cas de l’immense majorité des Togolais de l’intérieur et celui de toute la diaspora togolaise en France, en Allemagne, en Suède, en Amérique du nord …
Dans ces conditions, au lendemain de la mascarade électorale qui a porté Faure Gnassingbe au pouvoir comme héritier de son père, et qui a si bien déboussolé la presque totalité de ceux qui aspirent au changement démocratique dans le pays, il n’est pas inutile de chercher à mieux savoir ce qu’est l’Opposition togolaise. Cela permet d’éviter de se laisser entraîner dans la confusion, et de faire de l’amalgame facile comme c’est souvent le cas.
2- L’Opposition, ce n’est pas seulement les partis d’opposition ou les leaders opposants
L’Opposition togolaise, c’est en réalité l’ensemble de tous ceux qui refusent le régime de dictature et veulent sa fin. Parmi ceux-là, certains ont adhéré à des partis d’opposition pour contribuer à la lutte pour la démocratie dans un cadre politique. D’autres se sont mis dans des organisations associatives telle que la Ligue togolaise des droits de l’homme, ou dans des syndicats indépendants. D’autres encore ont cru devoir rester à l’écart de toute organisation, et à faire cavaliers seuls, chacun de son côté. D’autres enfin attendent et se contentent de regarder, comme des spectateurs regardent un match de football entre deux équipes. Tous sont malgré tout des opposants, parce qu’ils veulent tous la fin de la dictature. Si l’on est d’accord sur cela, alors on imagine bien l’importance de force potentielle que représente en réalité l’Opposition. L’Opposition togolaise ne se réduit donc pas aux leaders des partis d’opposition, ou aux partis d’opposition ou à une coalition regroupant quelques-uns de ces partis.
Ceux qui sont restés à l’écart des partis d’opposition forment la grande majorité des opposants. Jusqu’au 5 février 2005, ils attendaient des leaders opposants de « faire partir Eyadema » pour eux. Ils vont aux élections voter pour tel ou tel candidat, puis ils reviennent attendre chez eux jusqu’à la prochaine fois. Ils se comportent de cette manière d’autant plus que l’orientation électoraliste de la lutte et le discours politique de la majorité des chefs de parti les entretiennent dans fausse l’idée qu’ils n’ont rien d’autre à faire que d’aller voter quand viendront les élections, et que la lutte pour la fin du régime est une affaire de « politiciens », une affaire de « grands leaders ». Du coup, ils ont acquis la conviction qu’ils ne peuvent rien faire, qu’ils sont incapables de faire quoi que ce soit, qu’ils ne servent à rien.
Sous le choc provoqué par la tragique mascarade électorale du 24 avril et la répression sanglante menée par le régime, un grand nombre de ces Togolais attentistes sont tombés dans un découragement profond ; d’autres, sous le coup de l’indignation et de la révolte, vont dans tous les sens à la recherche d’une hypothétique solution miraculeuse. Ils parlent souvent d’armes, tout en donnant en même temps le sentiment de ne pas bien mesurer l’importance de ce qu’ils disent ou proposent. Les uns et les autres ne veulent plus entendre parler ni de partis d’opposition, ni de leaders politiques, ni d’élections…
Sous peine de choquer, il faut dire qu’il s’agit là d’attitudes négatives qui ne sont pas de nature à faire avancer la lutte contre la dictature, mais plutôt de nature à desservir le combat au• profit du régime et de ses tenants. On peut heureusement penser qu’il s’agit là de réactions à chaud qui, avec le temps, laisseront la place à un état d’esprit plus serein, favorable à une réflexion moins passionnée qui, seule peut permettre de trouver les solutions les plus justes possibles.
Il faut insister sur un point: le fait de se mettre à l’écart de la lutte politique organisée, de rester inactif ou d’agir individuellement, chacun de son côté, constitue un grand dommage pour le pays. Comme on l’a déjà dit, la masse de tous ceux qui veulent la fin du régime représentent une force potentielle considérable. Si tous ceux-là avaient accepté de contribuer à la lutte politique, dans un cadre politique organisé, le Togo aurait déjà résolu son problème. Chacun a sa place dans le combat en cours pour la liberté de tous. Si minime soit sa contribution dans un cadre politique organisé, cette contribution devient grande en soi, parce qu’elle s’ajoute à d’autres pour démultiplier les forces. N’oublions pas que l’oppression se nourrit du silence … et de l’inaction.
3- Les partis d’opposition dans l’Opposition
Ceux qui ont pensé pouvoir faire quelque chose dans le cadre d’un parti politique se sont inscrits dans un parti d’opposition de leur choix. En conséquence, il existe plusieurs partis d’opposition au Togo; et ce n’est pas un mal en soi. Mais en réalité, ils sont moins nombreux qu’on ne le pense avec souvent tant d’inquiétudes. Parmi eux, ceux qui fonctionnent réellement sur le terrain étaient au nombre de 10 jusqu’aux élections présidentielles de 2003. Ce sont: l’ADDI, le CAR, la CDPA, la CDPA-BT, la CPF, le PDR, le PSR, le PT, l’UDS-TOGO et l’UFC.
A l’exclusion de la CDPA-BT et du PT (Parti des Travailleurs), les 8 autres avaient, depuis le début, une même vision de la manière de mener la lutte d’opposition : le pouvoir tout de suite dans le contexte politique et institutionnel du régime de dictature; une compétition sans merci entre partis d’opposition pour y parvenir ; des élections, même si elles sont pipées d’avance; des dialogues et négociations avec le régime, même si c’est dans un rapport de force défavorable à l’Opposition, une marginalisation de la population et un appel incessant à la « Communauté internationale ».
Comme la CDPA-BT est le seul parti à ne pas voir les choses de cette manière, ces 8 partis constituent le courant majoritaire de l ‘opposition. Les leaders en vue de ce courant sont Yaovi Agboyibo (le CAR), Léopold Gnininvi (la CDP A), Edern Kodjo (la CPP), Zarifou Ayeva (le PDR) et Gilchrist Olympio (l’UFC). Ils avaient réussi à occuper le devant de la scène politique, et ils y sont restés depuis au moins février 1992.
Depuis cette date, ils ont conduit une politique d’opposition qui a donc été jusqu’à présent la politique d’opposition dominante. Tous le monde voit bien aujourd’hui que cette politique ne parvient pas à mettre fin au régime de dictature, et qu’elle offre sans cesse à ce régime l’occasion de se maintenir et de se consolider. Et tout le monde constate plus clairement aujourd’hui que cette politique tend de plus en plus à engager l’Opposition dans la voie d’une opposition d’accompagnement du régime.
Depuis le 14 avril 2004, la CPP et le PDR se sont enfin clairement mis du côté du régime, dans lequel les deux chefs de ces partis (Kodjo et Ayeva) avaient d’ailleurs joué, dans les années 1969-1980, des rôles importants en tant que ministres ou autres. L’un des deux avait dit en 1993-1994 qu’il n’a que des imbéciles qui ne changent pas. C’est peut-être vrai. Mais tout dépend du sens du virage et des motifs du changement. Comme ils ont maintenant clairement choisi d’être du côté de la dictature, on ne peut plus les considérer évidemment comme étant de l’Opposition. Leur choix a par ailleurs le mérite de clarifier le tableau. C’est donc une bonne chose.
Dès la veille de la mort d’Eyadema le 5 février 2005, il ne restait plus ainsi que 8 partis d’opposition, dont 6 (l’ADDI, le CAR, la CDPA, le PSR, l’UDS-TOGO, l’UFC) continuent de représenter le courant majoritaire et de conduire la politique d’opposition dominante. Parmi ces 8 partis, le PSR est de création récente par rapport aux 6 autres. Il est apparu sur la scène politique à peu près au même moment que le groupe des Rénovateurs, c’est-à-dire Dahuku Péré et ses amis, qui furent exclus du RPT pour avoir demandé des réformes dans ce parti, une demande bien tardive par ailleurs.
Contrairement à ce qu’écrit Comi Toulabor dans un « Texte éminemment provisoire à ne pas citer », les Rénovateurs ne se sont jamais constitués en parti politique. C’est précisément pour cette raison que Péré avait été obligé de présenter sa candidature aux élections présidentielles de 2003 sous le chapeau du PSR. Il faut souligner que Péré et ses amis n’ont jamais déclaré qu’ils ne faisaient plus parti du RPT. Ils ont toujours continué de se réclamer de ce parti, que d’ailleurs, ils ne se font certainement plus l’illusion de « reformer ».
De même, depuis leur exclusion, ils n’ont jamais proclamé clairement qu’ils sont membres de l’Opposition au régime d’Eyadema. C’est pour cela que leur insertion si précipitée dans l’Opposition par les leaders du courant majoritaire pose question. Mais elle devient compréhensible si l’on connaît bien les acteurs du courant majoritaire et le fonctionnement de la politique d’opposition dominante. Pendant la campagne électorale de juin 2003, Péré fera alliance avec Koffigoh pour tenter de ratisser large dans les préfectures de Kloto; c’est un fait significatif. Et l’on a bien vu la position des Rénovateurs sur la « Coalition des 6 partis ».
Il faut souligner pour terminer qu’à l’heure où nous écrivons, les Rénovateurs ne se sont toujours pas constitués en parti politique. Sans doute finiront-ils par le faire dans le nouveau contexte politique créé par la mort d’Eyadema comme ils en proclament de plus en plus l’intention; et ils le feront pour mieux accompagner le régime de Faure en attendant la suite.
Enfin la CDPA-BT. Elle avait considéré depuis février 1992 que l’orientation imprimée par le courant majoritaire de l’Opposition ne pouvait pas permettre aux Togolais de mettre fin au régime de dictature. Malheureusement, les faits lui ont donné raison. (cf. «L’échec d’une transition: Les perspectives de la démocratisation au Togo », CDPA-BT, Mars 1995). A partir de 2002, la CDPA-BT n’a pas cessé d’affirmer que la politique d’opposition dominante avait échoué, et qu’il fallait définir et conduire une politique alternative qui, forcément, ne peut que prendre le contre-pied de la politique d’opposition dominante, et le contre-pied de la vision sur laquelle le courant majoritaire fonde cette politique. La politique d’opposition alternative qu’elle prône implique un recentrage de l’objectif de la lutte, une implication massive de la population dans le combat à des fins autres qu’électorales, des pratiques politiques différentes, qui soient de nature à rassembler et non à diviser.
Par ces positions, la CDPA-BT constitue un courant politique distinct au sein de l’Opposition. Un courant minoritaire certes. On peut même dire le courant minoritaire, avec une politique d’opposition qui n’est pas la politique d’opposition dominante conduite jusqu’à présent par le courant majoritaire. Il est normal que les partis de ce courant majoritaire, ceux en particulier qui forment la « Coalition des 6 partis », considèrent les efforts que mène la CDPA-BT pour expliquer ces positions à l’opinion, comme des critiques intolérables. Qu’on le veuille ou non, l’Opposition togolaise est formée pour l’instant de deux courants politiques: un courant majoritaire et un courant minoritaire. Il n’y a donc pas qu’un seul son de cloche. Il y en a deux dont le second est constamment étouffé. Il importe d’être attentif pour ne pas les confondre, et éviter l’amalgame qui favorise tant la confusion.
4- Le courant majoritaire et les conséquences de sa politique d’opposition
Il est nécessaire de revenir sur le courant majoritaire et sur la politique d’opposition dominante pour bien comprendre le fonctionnement de l’Opposition togolaise et ses ratages successifs. Dès le départ, les partis d’opposition n’ont donc pas eu le même point de vue sur la lutte en cours pour la fin du régime de dictature et l’instauration de la démocratie au Togo. Pour la quasi-totalité de ces partis, l’objectif de la lutte, c’est la prise du pouvoir immédiatement, et donc forcément dans le contexte politique et institutionnel créé par le régime pour se maintenir.
Et le moyen privilégié pour atteindre ce but, c’est une concurrence sans merci entre partis d’opposition par le biais d’une rivalité constante entre chefs de partis, la participation active de la masse de la population au processus politique étant exclue. On a bien vu que cette désastreuse rivalité entre chefs de parti, chacun voulant à tout prix être le premier, n’a pas pu être masquée par la prétendue « Coalition des 6 partis » qui n’a offert à la masse de la population qu’une dangereuse illusion de l’union de l’Opposition, comme l’avait fait la « Coalition des Forces Démocratique » montée en octobre 2002 en prévision des présidentielles de juin 2003.
Les partis du courant majoritaire avaient cru que, comme Kérékou au Bénin, Eyadema quitterait de lui-même le fauteuil à l’issue de la Conférence nationale pour permettre au leader opposant le mieux placé dans la course d’occuper la présidence de la République. Mais à la fin de la Conférence, Eyadema et son parti n’ont pas quitté le pouvoir. Au contraire, ils ont clairement manifesté leur volonté de continuer de s’y maintenir par la force des armes et par la fraude électorale. Se sentant alors impuissants devant cette détermination du régime en place, ces partis se sont rabattus sur un jeu électoral où, tout en continuant de rivaliser entre eux pour le pouvoir immédiatement, chacun des leaders se porte candidat aux élections contre Eyadema. Le courant dominant a ainsi imprimé à l’insurrection populaire d’octobre 1990 une orientation exclusivement électorale, agrémentée de dialogues, de négociations et d’appels incessants à la « Communauté internationale ».
Et comme les urnes sont toujours pipées d’avance, dans ce contexte non démocratique, par la fraude, la corruption et la répression au profit du régime, l’objectif réel des élections pour ces leaders du courant dominant n’est même plus de gagner. En réalité, ils vont chacun aux élections pour prouver qu’ils existent, et pour se mesurer entre eux afin de montrer lequel des partis est le plus important, et donc qui est le plus grand des leaders de l’Opposition, qui est l’opposant historique. Ce comportement a été remarquable surtout pour les présidentielles de juin 2003. Et ces chefs de parti sont d’autant plus portés à jouer à ce petit jeu électoraliste qu’ils attendent de la « Communauté internationale » de faire pression sur Eyadema pour qu’il accepte de céder le pouvoir à l’Opposant principal, ou tout au moins qu’il veuille bien le partager avec lui.
Dans cet optique électoraliste, on comprend pourquoi ces leaders du courant majoritaire vont à toutes les élections, quelles que soient les conditions d’organisation et de déroulement; pourquoi ils font croire qu’on ne boycotte pas les élections; pourquoi ils se contentent de contester les résultats juste pour la forme; pourquoi, dès le lendemain de la proclamation des résultats truqués, ils commencent à donner du « Monsieur le président de la République » ou « Monsieur le Chef de l’Etat » à celui dont la masse de la population conteste l’élection ; pourquoi, après chaque élection frauduleuse, ils engagent avec le régime des dialogues tortueux et interminables jusqu’aux prochaines élections frauduleuses… Ces dialogues chaque fois revendiqués par les leaders du courant majoritaire, et d’où ils ne gagnent jamais rien au profit de l’Opposition, sont autant d’aveux d’impuissance.
Il est nécessaire de souligner quelques unes des conséquences de cette politique du courant majoritaire.
1. En imprimant à la lutte engagée en 1990 cette orientation électoraliste agrémentée de dialogues et de négociations, le courant majoritaire fait de la lutte une affaire entre « grands leaders » et le régime, et même une affaire entre le plus grand des « grands leaders » et le régime. Ce faisant, il met la masse de la population à l’écart du processus politique, affaiblissant ainsi l’Opposition face au régime de dictature.
2. Dans cette orientation, la population opprimée est réduite à un simple électorat auquel on s’adresse seulement pendant les campagnes électorales, chacun cherchant à mettre de son côté et contre les autres une fraction la plus grande possible de cet électorat. Ce faisant, le courant majoritaire néglige la force potentielle que représente la masse de la population et affaiblit ainsi l’Opposition face au régime de dictature.
3. En faisant de la prise immédiate du pouvoir l’objectif premier de la lutte contre le régime de dictature, et de la concurrence entre partis d’opposition le moyen d’atteindre cet objectif, les leaders du courant majoritaire se retrouvent forcément dans l’obligation de se battre entre eux pour ranger chacun derrière soi une partie de la masse des opposants. Ce faisant, ils divisent l’Opposition et empêchent l’union.
4. Par l’orientation électoraliste de la politique d’opposition les chefs du courant majoritaire ont faussé le contenu de la mobilisation et déformé son objectif. La mobilisation populaire n’est plus une organisation stratégique de la masse pour en faire une force politique réelle; elle n’est plus qu’un appel en direction de la population pendant la campagne électorale pour qu’elle se rende massivement aux urnes. Quant à l’objectif, il n’est plus la constitution de cette force politique massive comme moyen de pression politique, mais la possibilité pour tel ou tel autre leader opposant d’avoir le maximum possible de voix aux élections présidentielles, ou le maximum possible de députés à l’Assemblée …
La politique d’opposition du courant majoritaire a encore bien d’autres conséquences néfastes sur la lutte contre le régime. Toutes ces conséquences affaiblissent plus ou moins gravement l’ensemble de l’Opposition. Elles expliquent les ratages successifs, qui se traduisent à chaque fois par le maintien et la consolidation du régime de dictature.
5- La politique alternative d’opposition
La CDPA-BT a concrétisé sa position en proposant à tous, y compris aux partis du courant majoritaire, l’idée d’une force alternative d’opposition qu’il faut ensemble faire émerger de la masse des opposants par une méthodes d’organisation différente de la population, le but étant de mettre en place un mouvement d’opposition qui regroupe tout le monde, sans distinction de partis, et avec un objectif final, unique et commun: la fin du régime de dictature d’abord. Car, l’Opposition, c’est la masse de tous ceux qui veulent la fin du régime de dictature. Cette masse constitue une force potentielle formidable.
Car, la lutte en cours est avant tout une question de rapport de force. Si le régime s’est maintenu jusqu’à présent, c’est parce que le rapport des forces n’est justement pas en faveur de l’Opposition. Pas parce que le régime est trop fort ; mais parce que l’Opposition est trop faible. Et l’Opposition est faible parce qu’on l’a réduite à quelques partis et à quelques chefs de parti qui parlent au nom de la population sans même demander son avis. Trèves de fanfaronnades inutiles. La seule condition pour renverser le rapport des forces en faveur de l’Opposition est de transformer la force potentielle représentée par la masse de tous ceux qui veulent la fin de la dictature en une force politique réelle. Cette transformation passe nécessairement par une mobilisation politique d’un autre type.
La mobilisation politique ne peut plus être en effet un appel que chaque leader continuerait de lancer en direction de la population en lui disant: « Allez massivement aux élections et votez pour moi ». Elle ne peut plus continuer d’être réduite aux marches de protestation dans la capitale, aux sit-in, aux Lomé ville morte ou autres Togo mort. La mobilisation qu’il faut désormais, c’est une organisation de la population sur la base d’un objectif susceptible de faire émerger d’elle une force politique capable d’exercer des pressions conséquentes sur le régime.
Cette mobilisation ne peut pas réussir, si l’objectif divise au lieu de les rassembler. Or, l’objectif qui consiste à vouloir accéder chacun au pouvoir alors que la dictature n’est pas encore abolie divise; car il oblige chacun des leaders opposants qui se concurrencent entre eux pour le pouvoir à faire tout pour mettre derrière lui une partie de la masse des opposants. Par contre, l’objectif de la fin du régime de dictature d’abord rassemble sans exception tous ceux qui veulent la fin de la dictature. C’est donc cet objectif qui permettra de réussir la mobilisation responsable, d’unir l’Opposition et de mettre ainsi le rapport des forces de son côté.
6- La Coalition fantôme et la CDPA-BT
Depuis que la CPP (Kodjo) et le PDR (Ayeva) avaient pris clairement fait et cause pour le régime le 14 avril 2004 et se sont ralliés au RPT contre les positions des partis engagés dans le 7e dialogue, le nombre des partis du courant majoritaire est passé de 8 à 6. Et depuis cette date, ce courant est dominé par 3 partis: l’UFC, le CAR et la CDPA (en fait, Gilchrist, Agboyibo et Gnininvi). Ce sont ces partis qui sont allés au dernier dialogue avec le régime, soutenus par les 3 restants du courant. On sait que ce dernier dialogue a été âprement revendiqué par les locomotives de ce courant majoritaire réduit, et qu’il avait été finalement imposé au régime par l’Union européenne dans le cadre des 22 engagements de Bruxelles.
Ce 7e dialogue, comme les précédents, devait créer les conditions d’élections libres, transparentes et équitables dans le pays, et déboucher sur les élections législatives qui devraient suivre les présidentielles de juin 2003. Comme les précédents dialogues, lui non plus n’a pas réussi à créer ces conditions. Le code électoral rédigé sans la participation de ce qu’il est convenu d’appeler l’opposition radicale, et imposé par le régime avec la complicité de Kodjo (CPP) et d’Ayeva (PDR) laissait la porte grande ouverte pour la fraude massive. En plus, la constitution est restée celle manipulée par le régime à la veille des présidentielles de juin 2003 pour instaurer de fait une monarchie constitutionnelle. Avec le passage de Louis Michel à Kara, puis à Lomé le 27 décembre 2004, il était devenu évident qu’Eyadema organiserait ces législatives aussi unilatéralement, à sa manière, selon ses conditions, dans le mépris total des protestations verbales des chefs des partis d’opposition engagés dans ce 7e dialogue, la masse des opposants étant tenue en position d’observateurs passifs mis en réserve pour les élections.
Ce sont ces 6 partis qui vont constituer, à partir de novembre 2004, ce qu’ils vont appeler plus tard la « Coalition des 6 partis », en réalité un rassemblement tactique pour participer aux législatives dans les conditions susmentionnées. Mais les législatives n’eurent pas lieu avant la mort d’Eyadema le 5 février 2005La « Coalition » ainsi amenée à reporter ses ambitions électorales sur les présidentielles intérimaires du 24 avril 2005. On a bien vu les conditions dans lesquelles ces présidentielles eurent lieu. Et l’on connaît la suite. Elle est catastrophique.
C’est en définitive cette « Coalition des 6 partis » qui représente désormais le courant majoritaire. Ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir de près la dite « Coalition » ont été enthousiasmés par son apparition, tout comme ils avaient été émerveillés par naissance de la « Coalition des Forces Démocratiques » (CFD) en octobre 2002 – juin 2003). On a vu, par exemple, cette magnifique mobilisation de la diaspora togolaise en France, en Allemagne, aux USA, au Canada … pour soutenir la « Coalition » par tous les moyens possibles à travers la candidature de Bob Akitani. Quoi de plus normal au demeurant ? La masse des opposants togolais n’a-t-elle pas toujours exigé des leaders opposants l’union de l’Opposition ? Pourquoi ne s’enthousiasmerait-elle donc pas quand elle voit de loin quelque chose qui ressemble à une union?
Mais une fois de plus, la population a été flouée. L’expérience a bien vite montré en effet que, comme la CFD disparue, la « Coalition des 6 partis » n’est qu’un fantôme de l’union tant réclamée depuis plus de 15 ans. On a vu tout le mal que les 6 ont eu pour faire tant bien que mal un semblant d’accord sur le nom d’un candidat unique à opposer à Faure Gnassingbe ; on a vu tous les tiraillements qui ont accompagné le partage des postes ministériels avant la proclamation de ce nom, et tous les mouvements d’humeur qui ont suivi ; on a revu cette tendance bien connue à vouloir être, chacun, le premier de tous ; on a revu ces actions fractionnelles entreprises à titre individuel au sein du groupe sans une information préalable des autres membres … Conclusion: comme la « Coalition des Forces Démocratiques », la « Coalition des 6 partis » a visé plus un effet d’annonce au profit de quelques leaders plutôt qu’un véritable rassemblement de tous ceux qui veulent la fin du régime de dictature. Les ambitions étaient trop contradictoires, trop divergentes pour qu’il en soit autrement.
A partir du 26 avril 2005, le PSR va lâcher ses amis du groupe pour suivre la pente naturelle qui le conduira dans le gouvernement Kodjo au détriment des autres. Cette défection était prévisible. Elle ramènera le nombre des partis de la « Coalition » à 5. Mais depuis, où en est la « Coalition »? Ses membres y croient-ils toujours eux-mêmes? Y ont-ils jamais cru en réalité? Et que pensent aujourd’hui de ce groupe et de ces dirigeants tous ceux là qui se sont spontanément mobilisés sous le coup de la révolte et de l’indignation pour le soutenir, lui donner argent et carte blanche? Ce n’est pas par une coalition de ce type que les Togolais pourront mettre fin au régime de dictature. C’est par quelque chose de plus fort, de mieux ficelé, de plus large et à objectif plus clair et plus rassembleur.
7- Comment poursuivre la lutte?
Ainsi se présente aujourd’hui l’Opposition togolaise : une immense masse d’opposants à l’écart du processus politique ; une force potentielle considérable toujours marginalisée, toujours maintenue en jachère ; quelques organisations associatives fortement anti-parti, dont certains de leurs responsables tentent de récupérer à leur profit une société civile mythique ; six partis qui fonctionnent actuellement sur le terrain et qui regroupent, d’un côté 5 partis (l’ADDI, le CAR, la CDPA, l’UDS-TOGO et l’UFC), et de l’autre un parti (la CDPA-BT). Faut-¬il ajouter à ces Partis le Parti des Travailleurs ? On aimerait bien, mais …
L’ADDI, le CAR, la CDPA, l’UDS-TOGO et l’UFC sont ceux qui représentent aujourd’hui le courant majoritaire. Ils continuent de conduire la politique d’opposition dominante. Ces cinq partis s’étaient également constitués, avec le PSR, en une « Coalition des 6 partis » en vue d’aller aux élections législatives sur lesquelles devraient déboucher le 7e dialogue qu’ils avaient engagé avec le régime dans le cadre des 22 engagements de Bruxelles. Par la force des choses, ils ont dû reporter leurs ambitions électorales sur les présidentielles du 24 avril 2005. Qu’était en réalité cette « Coalition des 6 partis » ? Qu’est-elle aujourd’hui ? Que signifie cette « co-gestion » qu’ils réclament sans cesse à Faure? Cette co-gestion du pouvoir avec le régime de dictature va-elle dans le sens des aspirations de l’Opposition ?
La CDPA-BT n’a pas fait parti de cette coalition fantomatique. Sa politique d’opposition est différente de la politique d’opposition dominante du courant majoritaire. C’est pour cette même raison qu’elle s’était retirée de la « Coalition des Forces Démocratiques » (CFD) constituée. Qui se ressemble s’assemble. Constituer quelque chose juste pour un effet d’annonce, pour donner à la population l’illusion que l’Opposition est unie est une tromperie. De même, tenter de faire croire que l’Opposition se réduit désormais à la « Coalition des 6 partis » n’est pas moins grave. Déjà, les effets de cette pratique politique sur la population apparaissent bien désastreux.
Il n’est pas inutile de faire ces clarifications sur l’Opposition togolaise. Avec l’arrivée au pouvoir de Faure Gnassingbe, le régime de dictature s’est maintenu et a pris un nouvel essor. Il fonctionne sur la base des mêmes structures et des mêmes institutions, avec les mêmes hommes, les mêmes pratiques politiques et sociales et la même vision de l’avenir du pays. Le Togo est toujours sous un régime de dictature, le même qui a régenté le pays pendant plus de 40 ans. Dans ces conditions, les Togolais ne peuvent pas arrêter la lutte pour la démocratie. Ils sont tenus de la poursuivre. Mais elle ne peut plus continuer d’être une fuite en avant dans la politique d’opposition dominante. Elle doit se poursuivre sur la base d’un objectif différent, d’une organisation différente et avec des méthodes et des pratiques politiques différentes.
L’Opposition togolaise, c’est la masse de tous ceux qui aspirent aux libertés démocratiques, et veulent en conséquence la fin du régime de dictature. Elle représente une force politique potentielle considérable sur l’ensemble du territoire. Si le courant majoritaire n’est pas parvenu à réaliser jusqu’aujourd’hui les vœux de la population, c’est parce que la politique d’opposition dominante a négligé cette force, et n’a donc jamais cherché à la transformer en une force politique réelle. C’est à cette tâche de transformation qu’il faut avoir le courage politique de consacrer désormais les énergies et les moyens. On ne pourra la réaliser ensemble qu’à travers une mobilisation populaire conséquente. Les appels périodiques à l’adresse de la population l’invitant à aller massivement à des élections bidon pour voter pour tel ou tel autre leader opposant sont désastreux. Les marches et autres meetings de protestation ne suffisent plus pour avancer vers la liberté et la dignité.
C’est pour ces raisons que la CDPA-BT avait proposé depuis cinq ans l’idée de la nécessité de faire émerger une force alternative d’opposition de la masse de la population, et de concrétiser cette idée par un mouvement, le Mouvement de la Force Alternative d’Opposition (MF AO). Tout ce qui vient d’être dit montre que ce mouvement politique est ouvert à tous ceux qui veulent la fin de la dictature, sans distinction d’appartenance politique, mais que l’objectif rassembleur qu’il vise est la fin du régime de dictature d’abord, et les luttes partisanes pour le pouvoir seulement après, quand les libertés démocratiques essentielles seront instaurées pour que des élections respectables, libres, transparentes et équitables soient possibles dans le pays comme dans tout pays démocratique.
Une fois de plus, la CDPA-BT invite instamment tous ceux qui veulent la fin au régime de dictature, y compris les partis politiques et les organisations associatives, à accepter de contribuer à la constitution du Mouvement. Parce que l’enjeu est de taille pour l’avenir du pays. C’est pour cela que le Parti a toujours donné la priorité à cette campagne sur les élections• frauduleuses, les dialogues sans fin et autres négociations trompe l’œil.
Ayant fait cette proposition, la CDPA-BT ne peut pas rester les bras croisés en attendant que tout le monde se décide un jour, au risque de laisser l’idée tomber en jachère. Elle avait donc engagé une campagne active depuis trois ans pour montrer que l’idée est jouable, et que la création du Mouvement est possible. Et depuis deux ans, elle s’est mise à prendre, ensemble avec tous ceux qui ont adhéré à l’idée, des dispositions en vue de la création du Mouvement, en attendant que d’autres viennent à se joindre à l’action, toujours plus nombreux. Elle attend de tous ceux qui viendront, non pas une volonté de freiner la marche en avant, mais une détermination à apporter des contributions positives pour l’accélérer vers le but: un Togo débarrassé à jamais du régime de dictature, un Togo libre et démocratique.
Le Mouvement de la Force Alternative d’Opposition (MFAO) est l’élément fondamental de la politique alternative d’opposition dont le pays a besoin aujourd’hui pour poursuivre le combat de la démocratie et le gagner.
Fait à Lomé le 7 Septembre 2005.
Pour la CDP A-BT
Le Premier Secrétaire
Prof. Emmanuel GU-KONU