« … Dans la genèse et la consolidation du pouvoir personnel, l’intellectuel togolais a une lourde responsabilité.
Une attitude intellectuelle plus critique et plus rigoureuse, fondée sur une vision plus historique des faits, et dégagée des calculs opportunistes aurait tout au moins rendu plus difficile une telle concentration de pouvoir entre les mains d’une seule personne. Elle aurait évité l’instauration de ce culte débilitant de la personnalité. Elle n’aurait pas facilité la mise en place et le fonctionnement de la dictature, avec tout ce gâchis économique et humain.
Car, le peuple Togolais n’a jamais accepté le régime de confiscation civique imposé depuis 1963. Il a toujours, derrière cette apparence d’apathie, manifesté sa désapprobation de façon sourde et inorganisée.
Il revenait alors à l’intellectuel de taire ses ambitions personnelles et sa soif d’honneurs faciles pour se mettre à l’écoute de ces aspirations populaires, afin de trouver les moyens d’une canalisation de l’opposition diffuse pour en faire un instrument efficace de lutte contre l’autocratie et pour la conquête de la démocratie.
La démission politique des intellectuels togolais, leur incapacité à forger une opposition cohérente sur la base d’un projet politique porteur des espérances des masses rurales et urbaines ont également favorisé l’enracinement du régime autocratique.
Ces constats relatifs au rôle des intellectuels dans la genèse et dans la consolidation du régime sont importants. Parce qu’ils soulignent le rôle décisif qui leur revient historiquement dans le processus du changement démocratique devenu aujourd’hui incontournable, si l’on veut que le Togo aille de l’avant.
Il est en effet illusoire de croire que notre pays peut s’engager dans la voie démocratique par une sorte de hasard historique, ou par la volonté d’un prince. Et il est illusoire de penser que la pression extérieure dans le sens d’une libéralisation du régime, si elle n’est pas négligeable, suffirait seule à déclencher le processus démocratique dans le pays.
La démocratie ne s’octroie pas. Elle se conquiert. Et dans cette conquête, l’apport extérieur ne peut constituer qu’un appoint. Et la révolte des masses reste sans issue, sans une contribution conséquente des intellectuels. Il appartient au peuple de prendre la responsabilité de briser les chaînes de la dictature pour engager le pays dans une voie nouvelle. Et dans ce processus, le rôle éclairant des intellectuels est primordial.«