La question de la décentralisation ne date pas non plus d’aujourd’hui ; le régime avait fini par lancer le projet quand il a compris que l’état du rapport des forces qui prévalait en sa faveur, lui permettait de le faire pour mieux consolider ses assises politiques et barrer efficacement la route à toute forme possible d’alternance politique. Il va ainsi créer un ministère de la décentralisation en 2005. Il s’agissait en réalité de flouer l’opinion pour faire du dilatoire sur les problèmes les plus brûlants de l’époque.
Le nouveau regroupement accentue cette polarisation sur les « réformes » et la décentralisation. Dans son intervention au cours de la conférence de presse, Apévon fait de ces deux problèmes « les thèmes préoccupants aujourd’hui » (sic). Sans aucun doute, les « réformes » et la décentralisation au sens complet du terme font-elles partie des graves thématiques auxquelles le processus de démocratisation est confronté. Et il faut leur trouver des solutions. Mais il y a un risque certain à réduire l’objectif de la lutte d’opposition à des thématiques isolées du problème politique global porté dans la rue en 1990. Et un aspect de ce risque est la tendance des partis d’opposition à ancrer la lutte pour la démocratie dans le court terme, en empêchant ainsi l’opposition prise dans son ensemble d’aller au-delà pour une réflexion plus en profondeur sur la complexité du problème global du devenir du pays.
Nous avons commencé à nous battre pour la transparence des élections depuis au moins 1993. Si nous n’avons pas réussi à l’imposer jusqu’à présent, et des partis sentent encore la nécessité de se constituer en un nouveau regroupement pour en faire de nouveau un cheval de bataille aujourd’hui, c’est que le blocage est ailleurs. Il est dans la nature du régime politique, qu’il faut changer.
Comment arriver à changer de régime politique ? C’est en fonction de cette question que nous devons définir notre politique de mobilisation et penser la forme d’organisation la plus appropriée possible pour avancer. Il ne suffit pas de créer les conditions de la transparence et de l’équité des élections et/ou procéder à des élections locales dans les présentes conditions de la vie politique du pays, pour que le problème politique togolais, tel qu’il est porté dans la rue en 1990 soit résolu; et pour que le changement démocratique auquel aspire la masse de la population devienne une réalité pour le bonheur de tous.
Les leçons du passé
Par ces affirmations pleines de sagesse, les partis membres du nouveau groupe laissent entendre que les regroupements passés se sont constitués dans la précipitation, et qu’ils n’ont, par conséquent, pas pris le temps de regarder dans le rétroviseur pour tirer des leçons pouvant leur permettre d’atteindre le but fixé avant de disparaître. Il ne fait aucun doute que les regroupements visés par ces affirmations sont le CST et la Coalition Arc-en-ciel.
On pourrait leur ajouter aussi le FRAC, constitué à moins de deux mois avant les élections présidentielles de 2010. D’autres partis avaient stigmatisé cette précipitation aussi bien pour ce qui concerne le FRAC que pour le CST et la Coalition constitués dans les mêmes conditions deux ans plus tard. Et ils avaient mis l’opinion en garde, en particulier la masse des opposants, en leur disant que « ça ne durera pas ». La suite a montré malheureusement que ces partis qui manifestaient ainsi le doute sur la viabilité de ces regroupements avaient raison trop tôt. Il faut le souligner une fois encore : comme le FRAC, le CST et la Coalition ont disparu de la scène, eux aussi, parce qu’ils se sont inscrits eux aussi dans une vision du court terme.
L’enseignement majeur est que des regroupements circonstanciels montés autour de thématiques de court terme mises en exergue à un moment donné par l’évolution conjoncturelle du processus de démocratisation, ne sont pas de nature à régler le problème politique togolais. On a vu que les regroupements passés ont toujours disparu, une fois l’objectif du court terme proclamé au moment de leur création est dépassé par l’évolution de la situation, que cet objectif soit au demeurant réalisé ou non.
Une cacophonie qui n’a pas arrangé l’image de l’opposition togolaise. Si le CST a disparu au lendemain des urnes, les querelles créées par les conditions du montage du regroupement ne se sont pas tues pour autant. Elles vont resurgir sous d’autres formes dans la nouvelle Assemblée, comme un feu de brousse mal éteint. Au détriment bien entendu de la cohésion de l’opposition parlementaire.
Il faut regarder encore plus loin dans le rétroviseur
Le principe du parti unique et sa traduction dans les faits sous la forme du RPT en 1969 est étroitement lié à la nature profonde du régime autocratique, tout comme les « réformes », la décentralisation, l’impunité et la suite des autres obstacles institutionnels ou non au processus de démocratisation. Le principe fut heureusement aboli en avril 1991, et celui du multipartisme lui fut substitué depuis cette date. L’abolition du parti unique et l’institution du multipartisme sont les premières victoires du peuple sur l’autocratie, et les seules conquêtes démocratiques obtenues par le Peuple depuis que la lutte d’opposition fut portée sur la place publique par l’insurrection populaire d’octobre 1990.
La proclamation du multipartisme est ainsi le résultat de la pression de la masse de la population descendue dans la rue pour clamer la fin du régime militaire totalitaire. Ce fait de notre histoire impose deux leçons majeures : En premier lieu, la proclamation du multipartisme a été possible grâce à la pression populaire résultant de l’irruption massive du peuple dans le processus politique. En second lieu, cette avancée démocratique fut possible seulement quand la pression a pu atteindre le point où le peuple insurgé pouvait renverser le rapport des forces politiques en sa faveur. Ce qu’il a fait. Malheureusement, parce que l’insurrection populaire était quasiment spontanée, le peuple opposant ainsi descendu dans la rue ne pouvait pas tirer de ces premières conquêtes démocratiques toutes les conséquences requises pour une poursuite normale du processus de démocratisation.
C’est la question centrale. En ce moment où un nouveau regroupement vient s’ajouter à la longue liste de ceux qui ont disparu du champ politique, il n’est pas inutile de rappeler ces faits et de recentrer la réflexion sur cette interrogation.