I- POUR COMPRENDRE UNE DÉMARCHE
La lettre pastorale de la Conférence des Évêques du Togo (26.04.2016) a produit dans la mouvance de l’opposition le même effet que celle publiée le 1eroctobre 2002 par l’Église Évangélique Presbytérienne du Togo. Dans cette situation d’immobilité qui avait suivi les législatives anticipées du 27 octobre 2002, son contenu avait regonflé les voiles ; une nouvelle synergie s’était annoncée ; puis une idée avait germé au sein d’une fraction des partis d’opposition comme une fleur sur ce terreau épiscopal : « il faut prendre contact avec les Églises ! »
L’idée avait alors rapproché quelques partis d’opposition. La nécessité de remobiliser la population sur les problèmes liés à l’élection présidentielle en prévision s’était imposée comme un objectif commun à réaliser dans la nouvelle synergie créée par la publication de la lettre pastorale. Dans ce climat politique de plus en plus délétère depuis la suspension des rencontres du CPS (Comité paritaire de suivi de l’application de l’ACL), les conditions d’une élection libre, transparente, équitable, en un mot une élection démocratique, étaient toujours loin d’être remplies. Le principe de la mise en place d’une structure légère pour organiser les actions fut retenu. Tout ce cheminement allait produire la « Coalition des Forces Démocratiques » (la CFD) rendue publique le 25 octobre 2002. La CDPA-BT comptait parmi les premiers partis initiateurs du mouvement.
Malheureusement, avant même l’annonce de la création de la CFD, le mouvement produit par la nouvelle synergie fut dévié de ses objectifs initiaux sous la pression des traditionnelles manœuvres des « grands leaders » engagés dans le processus. « Prendre contact avec les Églises » était en effet le point de départ d’une mobilisation populaire à réaliser à partir du contenu de la lettre pastorale ; et si possible, avec le soutien de ces hommes d’église. Ceux-ci avaient eu le courage de formuler dans la lettre des positions si claires sur la situation politique ; et ils se sont prononcés sans ambigüités pour la nécessité du changement de politique à l’échelle de l’État comme condition indispensable pour garantir la paix et permettre le développement. Tout laissait voir qu’ils étaient prêts à contribuer, à leur manière, à un processus responsable destiné à réaliser ces objectifs.
Mais les « grands leaders » n’avaient vu dans la nouvelle dynamique qu’une opportunité, pour eux, de se repositionner en vue des présidentielles de juin 2003, dont la lettre pastorale stigmatisait justement les conditions d’organisation. Derrière les antiphrases de chacun d’entre eux sur la remobilisation et sur le changement, se profilaient des stratégies électorales, toujours fondées sur le désastreux principe de la concurrence entre partis d’opposition pour la conquête partisane, ou même personnelle du pouvoir. Comment utiliser la nouvelle situation et, au besoin, comment manipuler les autres membres engagés dans le processus, pour se faire désigner candidat unique de l’opposition pour ce scrutin, étaient devenu la préoccupation principale ; une préoccupation qui n’avait rien de commun avec celles si courageusement exprimées dans la lettre pastorale de 2002.
Les réunions étaient très vite devenues autant de champs d’affrontements d’ambitions électoralistes contradictoires, et autant de lieux d’expression de ces rivalités assassines entre partis d’opposition, des rivalités qui avaient si largement contribué à l’affaiblissement de l’opposition face au régime. Avant même l’annonce officielle de sa création, la CFD était déjà devenue dans la réalité le contraire de ce qu’elle laissait croire à l’opinion. Une tromperie. On a vu la suite : une pléthore de candidats prétendant chacun parler au nom de l’opposition face au candidat du régime, alors que ceux qui se faisaient des illusions sur ces genres d’élection, espéraient que la CFD se donnerait au moins un candidat unique pour ces élections. Le choc des ambitions électoralistes de ces partis du courant majoritaire de l’opposition, allait ainsi conduire l’ensemble des partis d’opposition à rater une fois de plus un rendez-vous historique avec la masse des opposants.
La CDPA-BT ne pouvait pas continuer de rester dans ce cadre factice, dont l’orientation et les pratiques politiques sont totalement à l’opposé de ses convictions politiques et des aspirations profondes de la grande masse des opposants. Pour rester cohérente avec elle-même, elle avait (contrairement à ce que l’UFC mettra sur son site), refusé de signer le communiqué annonçant la création de la CFD, déclaré publiquement son refus de faire partie de la Coalition et expliqué dans un document pourquoi elle sortait. Et elle avait poursuivi sa campagne pour le MFAO (Mouvement de la Force Alternative d’Opposition, dont la CDPA-BT avait commencé à proposer la création dès avant 2002).
Notre parti était convaincu qu’en raison des réalités qui marquaient si profondément la vie politique togolaise depuis des années, la lutte pour la démocratie en vue du progrès des conditions d’existence de la majorité, ne saurait être prise, ni pour l’affaire d’un individu, ni pour celle d’un « grand leader », pas plus que l’affaire d’un seul parti, si « grand » soit-il. Rien de nouveau n’est venu démentir cette conviction depuis. Au contraire, ce que sont devenus l’UFC et son « opposant historique » depuis 2010 la réconforte dans cette conviction. Il faut d’ailleurs rappeler qu’à son tour, l’UFC sortira de la CFD le 25 février 2003, et en expliquera les raisons dans un mémorandum en date du 12 mars 2003. Ces raisons n’ont évidemment rien de commun avec de celles de la CDPA-BT. Et ce n’est pas surprenant.
Comme la lettre de la Conférence des Évêques du Togo (26 avril 2016) l’a si bien laissé entrevoir, la lutte pour le changement démocratique est l’affaire de tous ceux qui aspirent à ce changement. Elle est en conséquence une entreprise collective, et non pas une affaire individuelle ou l’affaire d’une coterie. L’expérience a bien montré que son succès passe nécessairement par une réinsertion appropriée de la masse des opposants dans le processus politique en tant que force politique capable de peser réellement.
On ne le dira jamais assez : dans les conditions historiques de la création des partis d’opposition au régime politique en place depuis des années, et en raison de l’état actuel du rapport des forces opposition/régime redevenu favorable au régime depuis février 2002, la force de l’opposition réside avant tout dans la force organisée de tous ceux qui aspirent à ce changement. L’émergence de cette force requiert, non pas ces genres de coalitions et de regroupements feux de paille qui ont produit tant d’illusions au sein de la masse des opposants, mais une véritable alliance de partis d’opposition responsables, qui parviendraient, grâce à leur « sens de responsabilité », à se donner un minimum d’objectifs commun.
Pour la CDPA-BT, le MFAO (Mouvement de la Force Alternative d’Opposition) est une des voies possibles pour réaliser cet objectif. A cet égard, il faut souligner que dès le lendemain de la publication de la lettre de la Conférence des Évêques du Togo, des voix se sont mises à s’élever de partout pour lancer des appels pathétiques pour la formation d’un grand mouvement (comme si l’idée venait seulement de faire son apparition sur la scène politique). C’est tant mieux ! Mais tant que ces appels continueront de s’inscrire dans les logiques de l’affichage et dans celles des rivalités entre partis d’opposition pour le pouvoir ou la première place comme au moment de la création du CST (avril 2012), les errements qui ont marqué le COD I, le COD II, la CFD, le CST et consorts continueront d’être les fondements de la politique d’opposition des partis du courant majoritaire de l’opposition. Et la « saine démocratie », continuera de rester un objectif apparemment toujours irréalisable.
Enfin, comme tous les autres partis d’opposition de l’époque, la CDPA-BT s’était laissée prise dans la synergie créée par la pertinence de la plupart des idées et positions affirmées dans la lettre pastorale de décembre 2002. La pression des événements ne permettait pas une autre attitude. Mais la situation politique dans laquelle les Évêques du Togo ont publié leur lettre pastorale du 26 Avril 2016 est relativement différente. Aussi, la direction de la CDPA-BT a-t-elle pris sur elle, cette fois-ci, d’examiner la lettre plus en profondeur. Elle verse au débat quelques-unes des idées et positions résultant de cet examen. On peut prendre connaissance de ces idées et positions sous les titres qui vont suivre.
Un débat politique éclairant favorise toujours la prise de conscience au profit de la liberté, de la justice, de la vérité, de l’État de droit et du sens de responsabilité politique… Autant de valeurs sur lesquelles les Évêques du Togo ont si bien insisté dans leur lettre.
Lomé, le 20. 06.2016
La Rédaction.