LA CDPA-BT : LE TEMPS DE PARLER

On se souvient que la CDPA-BT s’était retirée de la CFD. L’UFC s’en retirera à son tour quelques mois plus tard. La CDPA-BT avait estimé que les rivalités de leadership ne permettraient pas à la coalition d’aller loin ; qu’elle n’arriverait donc pas à répondre aux attentes réelles de la population, et que, par ses contradictions, elle accentuerait au contraire le désarroi et le découragement parmi ceux qui veulent la fin du régime.

Depuis cette date, notre parti s’est abstenue jusqu’à présent d’intervenir dans le débat sur la CFD. Mais comme malheureusement l’évolution de l’organisation n’a pas démenti nos prévisions, le Bureau Exécutif National du parti estime que le moment est venu de rompre le silence pour contribuer au débat sur l’organisation. Il faut mettre l’opinion en mesure de juger en toute connaissance de cause afin qu’elle parvienne à adopter des attitudes positives au regard de la lutte en cours contre le régime de dictature et pour la démocratie.

Il faut reconnaître que les Togolais ne sont pas informés sur les conditions de la création de la CFD. Rares sont en effet ceux qui peuvent affirmer en toute sincérité savoir pourquoi et comment cette nouvelle structure de l’opposition est née. La remarque n’est pas valable seulement pour l’homme de la rue. Elle l’est également pour nombre de ceux qui sont sensés outillés pour suivre l’évolution de la situation politique. Et paradoxalement, l’est pour les journalistes dans leur quasi-totalité.
A l’exception d’un malheureux article, qui ne fut d’ailleurs qu’un reflet de la guerre de leadership qui a miné l’opposition jusqu’à présent, la presse dite d’opposition n’a rien dit des discussions qui ont conduit à la naissance de la CFD. Aucun journal n’a parlé par exemple de l’incident provoqué par Mr Gnininvi le 14 octobre et qui a été à l’origine de tout le processus. Aucun journal n’a évoqué l’idée, avancée par la CDPA-BT, de la nécessité d’une structure légère afin de mettre un peu d’ordre dans les démarches entreprises à partir du 10 octobre pour mobiliser l’opinion contre la mascarade électorale du 27 octobre 2002. Les propositions de la CPP dans un document non daté, intitulé « Proposition pour la création d’une coalition entre les partis et courants politiques de l’opposition démocratique », n’ont fait l’objet d’aucun commentaire par la presse. Il en est de même du document produit par le « Front » quelques jours plus tard en réaction contre les propositions de la CPP, document daté du 22 octobre 2002, et intitulé « Proposition du front pour la création d’une union forte de l’opposition ».

La presse n’a pas été au courant de tout cet enchaînement de faits. Pas seulement parce qu’elle n’avait pas cherché à savoir, mais aussi parce qu’elle avait été tenue à l’écart du processus. Les journalistes invités par mégarde le soir où l’on est sensé annoncer la création de la coalition savent bien ce qui leur est arrivé. La presse ne pouvait donc pas informer. Et quand elle va commencer à parler abondamment de la CFD après la mascarade électorale du 27 octobre, c’est pour présenter cette organisation à l’opinion comme l’ultime planche de salut par laquelle l’opposition allait mettre fin au régime de dictature. Et elle en a fait une institution sacrée devant laquelle tout le monde devra tomber en adoration.

L’opinion doit être informée pour pouvoir suivre l’évolution de la politique d’opposition. Les leaders des partis impliqués dans la conduite de cette politique doivent s’interdire la rétention de l’information pour ne pas contribuer à l’obscurantisme politique dans lequel le régime continue de tenir la population.

La CDPA-BT avait activement participé à ce débat en vase clos qui a conduit à la naissance de la CFD. Quand elle avait ensuite publié un communiqué le 5 novembre 2002 pour annoncer son refus de faire partie de cette organisation, elle avait fait l’objet de vives inimitiés au lieu de susciter un besoin d’en savoir plus. Et cette presse, qui n’est pas au courant du débat ayant conduit à la création de la coalition, a même intimé l’ordre au Premier Secrétaire de « dépasser les cadres vaseux des littératures politiques. » Nous avons tenté d’expliquer notre position avec l’espoir d’instaurer un débat public salutaire sur la CFD pour forcer l’organisation à se tenir droit. Mais nous avons compris qu’il vaut mieux ne pas insister. Le débat démocratique qui clarifie et permet de juger en toute connaissance de cause avant de se déterminer n’est possible que dans certaines circonstances politiques. Il appartient aux partis politiques et à la presse indépendante de contribuer ensemble à la création de ces circonstances pour permettre à notre lutte pour la démocratie d’atteindre ses objectifs. Cela aussi fait partie du changement dont nous parlons.

A la CDPA-BT, nous ne sommes ni heureux, ni fiers de ce qui s’est passé à la CFD depuis que nous avons décidé de ne pas en être membre. Mais cette évolution ne nous surprend pas. Nous nous y attendions, parce que les conditions de la création de la Coalition la rendent inévitable. En intervenant aujourd’hui dans le débat, nous n’avons donc pas l’intention de crier victoire ou de jeter la pierre. Il faut dépassionner le débat pour y voir clair, l’approfondir et l’enrichir. C’est une condition nécessaire pour ne pas passer à coté des vrais problèmes et des vraies solutions par conséquent.

Le couple candidature unique/candidature plurielle a pris une place importante dans le débat en cours. La difficulté pour les chefs de ce qui reste de la CFD à trouver un candidat unique en leur sein offre certainement une image lamentable. La question ne devrait plus être aujourd’hui s’il faut une candidature unique ou une candidature plurielle face au pouvoir. Si l’on admet que c’est par des élections que l’on mettra fin au régime de dictature, le bon sens recommande alors que l’opposition se donne un candidat unique. Dans les conditions spécifiques de la transition démocratique togolaise, l’opposition aurait dû opter déjà depuis 1993 pour la candidature unique. Et s’y tenir tant qu’elle aura le régime despotique en face. Car les conditions politiques ne se sont pas améliorées. Elles ont sans cesse empiré.

En 1993, des partis d’opposition avaient défendu à juste titre la candidature unique avant de se retrouver aux « dialogues » de Ouaga. Et quand ils ont constaté dans la capitale burkinabe qu’ils n’ont aucune chance d’être ce candidat unique de leurs vœux, ils se sont rétractés et se sont mis à prêcher la candidature plurielle. Ce sont les mêmes contradictions que nous voyons aujourd’hui. Et ce n’est pas beau. Mais si ceux qui prônent aujourd’hui la candidature unique n’étaient pas coincées par les lois scélérates qui imposent si arbitrairement le scrutin à un tour, ils n’auraient jamais parlé de candidature unique et seraient tous en train de constituer chacun son dossier pour être candidat.

L’envoi de représentants de la CFD à la CENI-RPT, le retrait de l’UFC de la coalition, la candidature de Gilchrist aux présidentielles,… ont fait également l’objet du débat en cours. Ces pratiques ne forment pourtant pas le problème essentiel de l’heure. Parce qu’ils ne sont que les résultats des fondements de la politique dominante d’opposition conduite depuis 1991, et parce que toute la pratique politique repose alors sur le principe de la concurrence entre leaders de l’opposition pour le fauteuil présidentiel tout de suite, il y a vice de forme. Et les problèmes de la démocratisation ne peuvent alors prendre d’autres formes que celles sous lesquelles elles se présentent aujourd’hui.

Dans ces conditions, il est inutile de s’attarder à reprocher aux leaders en vue leurs ambitions pour le pouvoir tout de suite. Il ne sert à rien non plus de vitupérer contre Gilchrist Olympio pour sa candidature. Il ne sert à rien de réclamer l’union de l’opposition ou d’exiger des chefs de ce qui reste de la CFD de donner un candidat unique séance tenante. Même s’ils finissent par le faire, ce ne sera pas de bon cœur. Et ils n’hésiteront pas à mettre des peaux de bananes à la première occasion. On se souvient bien de comment les choses se sont passées en 1993.

La politique d’opposition dominante rend logiques tous ces comportements politiques regrettables. Ce qu’il faut donc, c’est changer de politique d’opposition. Il faut avoir le courage d’abandonner la politique d’opposition dominante pour une politique d’opposition alternative qui donne la priorité à la lutte pour la fin du régime de dictature pour créer les conditions d’une véritable alternance au pouvoir.

L’objectif visé par les masses populaires descendues dans les rues le 5 octobre 1990 est de mettre fin au système de dictature pour permettre au peuple togolais de jouir des libertés démocratiques et des avantages de l’Etat de droit comme tous les peuples normaux du monde. La cause n’était pas de créer une occasion pour que des chefs de partis d’opposition s’engagent chacun dans une course concurrentielle pour le pouvoir tout de suite. Entre se battre pour la fin du régime de dictature, et se battre pour accéder au pouvoir, il y a une différence fondamentale. La confusion hypocrite de ces deux objectifs dès avant la conférence nationale est à l’origine des malheurs de l’opposition togolaise.

L’enterrement du « dialogue inter togolais » et ses succédanées que sont l’ACL et le CPS, la suppression de la CENI consensuelle, la création du Comité des 7, les élections yoyo du 27 octobre 2002, la modification de la constitution et du code électoral sont autant de raisons pour changer la politique d’opposition conduite jusqu’à présent. La création de la CFD est une occasion rêvée pour faire le pas décisif dans ce sens. Mais avant même de l’avoir créée, on avait fait de la coalition un instrument de la fuite en avant dans la politique d’opposition dominante. C’est cette orientation de la CFD qui est regrettable. Elle conduira au mieux à une cohabitation d’une partie de l’opposition avec le régime de dictature et au pire, à un bâillonnement total des partis d’opposition.

Fait à Lomé, le 18 Avril 2003
Pour la CDPA-BT
Le Premier Secrétaire
Prof. E. GU-KONU