Le titre ci-dessus peut choquer. C’est compréhensible. En un moment où toute la vie politique est si polarisées par le “dialogue inclusif”, pourquoi parler encore d’une élection présidentielle vieille déjà d’une année ?
Et pourtant, il est nécessaire de revenir sur ces présidentielles de 2010, dans le but d’en tirer les leçons nécessaires pour l’avenir. Dans la lutte engagée depuis plus de 20 ans maintenant pour la fin du régime de dictature, il importe, après chaque événement déterminant de l’évolution de la vie politique du pays, de jeter un coup d’œil en arrière, pour voir si l’opposition démocratique continue de tenir la route dans la lutte pour le changement politique ou non.
Regarder dans le rétroviseur
Depuis 1993, après chaque élection présidentielle, le courant majoritaire de l’opposition ne fait jamais ce mouvement salutaire. Pourtant, toutes ces élections dans lesquelles ce courant a toujours conduit l’opposition toujours de la même manière ont, à chaque fois, amené celle-ci dans le mur.
On se précipite toujours pour se rendre à ces élections, comme porté par une sorte de fatalité. Comme si elles sont inéluctables. Et on le fait en sachant bien qu’on n’a pas, en tant qu’opposition politique, réussi à créer les conditions devant empêcher le régime de continuer de « voler la victoire du peuple », autrement dit les conditions qui sont de nature à rendre possible l’alternance politique (à ne pas confondre avec l’alternance au pouvoir) dans le pays.
Au lendemain du scrutin, on dénonce les résultats proclamés. On appelle la “Communauté internationale” à la rescousse. On demande le dialogue, “inclusif ou exclusif”, peut importe. Il dure jusqu’au scrutin suivant, sans rien changer à la situation politique. Puis on se précipite de nouveau aux urnes dans les mêmes conditions, avec une agitation toujours aussi fébrile. Et le cycle recommence !
Entretemps, le régime se maintien. Et continue de contrôler le pays, toujours dans l’opacité, de façon toujours totalitaire, avec des lois toujours liberticides. On n’est jamais arrivé à imaginer le changement politique en dehors de ces élections toujours pipées d’avance. Comme si un peuple n’avait qu’une seule voie –des élections frauduleuses– pour se libérer d’un régime de dictature.
Un scrutin pas différent des autres
Les élections de mars 2010 se sont passées de la même manière que les précédentes ; et dans les mêmes conditions ; et avec le même résultat. Effectivement, les conditions qui auraient pu permettre à un de ces candidats opposé à Faure Gnassingbe le 4 mars 2010 de prendre le pouvoir après le vote étaient loin d’être réunies : la constitution de 2002 est toujours en vigueur ; le mode de scrutin retenue depuis toujours par cette constitution est le scrutin uninominal à un seul tour, favorable au pouvoir en place et franchement défavorable à l’opposition ; la Cour constitutionnelle est restée depuis 1996 (date de sa création) un instrument au service du régime ; la CENI, tant par la composition de sa direction que par l’état du rapport des forces en son sein, est restée en réalité aux ordres du régime, comme lors des élections précédentes ; le découpage électoral est toujours maintenu en faveur du régime et son parti.
De plus (et c’est le plus grave), les partis d’opposition qui occupent indéfiniment le devant de la scène politique, n’ont pas pu renverser le rapport des forces en faveur de l’opposition dans le pays, faute d’une organisation cohérente de la masse de tous les opposants pour faire d’elle une force politique capable de donner un fondement solide à la lutte d’opposition.
Faute de cette absence d’organisation cohérente de la masse des opposants, les interminables négociations à Ouagadougou comme à Lomé tout au long du 12ème dialogue (2005-2006) n’ont rien changé à cette situation politique au profit de l’opposition. Elles ont, au contraire, permis au régime de garder toute sa capacité de fraude (à travers le découpage électoral et la composition de la liste électorale, à travers la manipulation de l’opinion, à travers la corruption de l’électorat …).
Les partis du courant majoritaire de l’opposition, de même que les responsables des organisations associatives, sont conscients de cette situation. Et pourtant, ils ont décidé de participer aux élections et ont appelé, chacun, la population à aller voter pour son candidat contre les autres, accentuant ainsi les rivalités et la division au sein de la mouvance de l’opposition.
La politique spectacle ne conduit pas loin
Les résultats proclamés, le FRAC s’est mis à marcher et à faire des veillées de prière ; comme si c’était là le but des élections pour l’opposition démocratique. Il a marché et prié pendant six mois, tous les samedis. Ses responsables laissaient à chaque fois entendre aux marcheurs que Faure Gnassingbe va restituer le pouvoir au “Président J-P Fabre”, et proclamaient que la victoire finale n’est qu’une question de semaines. Et pourtant, les hommes du FRAC savaient bien qu’ils n’ont pas pu empêcher Faure Gnassingbe de prêter serment ; que ce dernier est soutenu à bloc par la “Communauté internationale” ; et que ces exhortations sont en conséquence fallacieuses.
Le pouvoir sait que ces manifestations bon enfant ne sont pas de nature à porter préjudice au régime et à l’obliger à accepter l’alternative politique que revendique la masse des opposants depuis des années ; et qu’au contraire, elles offrent à Faure Gnassingbe une excellente occasion de s’afficher comme un homme différent de son père, et de montrer abusivement qu’il est, lui, “un homme d’ouverture”.
Il a ainsi fait encadrer marches et veillées de prière avec bonhomie par ses forces de répression habituels, jusqu’au moment où il a estimé nécessaire de siffler “la fin de la récréation”. Il ne va pas tarder à le faire. Il va ainsi interdire, puis réprimer sans ménagement le congrès que l’UFC-FRAC a tenté d’organiser le 10 août 2010. Il aurait lancé la répression dès le début, comme en 2005, si les marches et veillées de prière présentaient un risque vital pour lui.
Jean-Pierre Fabre et ses amis vont alors créer l’ANC, qu’ils vont considérer dès sa naissance comme le plus grand parti d’opposition dans le pays, si non le seul : c’est habituel. Par ailleurs, on a commencé à médiatiser à fond la “Commission Vérité, Justice Réconciliation” présentée, de part et d’autre, comme l’alpha et l’oméga de la “sortie de crise” et de la “nouvelle marche” vers la “paix éternelle et la reconstruction nationale”. Chacun des partis du courant majoritaire s’est mis à faire des propositions de “sortie de crise” : qui “le pacte républicain”, qui la “cogestion” (repeinte en “partage républicain”), qui encore “la 41ème ethnie” et tout le reste…
Par tous ces tours et détours, ils en sont arrivés aujourd’hui à un consensus sur “le dialogue inclusif” ; y compris les responsables de l’ANC, qui ne réfutent pas le piège, mais se contentent de poser des conditions en faveur de leur nouveau parti, en sachant bien que le régime n’acceptera pas ces conditions, et en sachant bien que le fait de poser ces conditions ne fera donc pas évoluer la situation politique en faveur de l’opposition.
Dans tous les cas, l’évidence est qu’on est revenu à l’éternel cycle de dialogues. Des dialogues qui n’empêchent pas Faure Gnassingbe de gouverner, comme les précédents n’avaient jamais empêché Eyadema de gouverner. Le régime se maintient et continue d’exercer un contrôle totalitaire sur les destinées du pays. Cette situation est visiblement partie pour durer jusqu’aux prochaines élections comme d’habitude, probablement les sénatoriales et les locales d’abord, puis les autres à partir de 2012.
Des questions pour un véritable débat politique
Tout ce cheminement politique montre que les élections du 4 mars ont ramené le pays au point de départ. Et qu’il est nécessaire par conséquent de revenir sur ce scrutin pour mener un débat politique sérieux sur la question de savoir si l’opposition démocratique devrait y aller ou si elle devrait les boycotter ? Et que devrait-elle faire dans le cas du boycott pour se renforcer afin de renverser le rapport des forces en sa faveur ?
Les chefs du courant majoritaire de l’opposition se doivent de poser ces questions. Sinon, ils seront indéfiniment contraints à la fuite en avant par-dessus les problèmes de fond qui empêchent l’alternance politique. Normalement, la presse togolaise aussi se doit de les poser, et de créer les conditions d’un véritable débat politique. La fonction politique du journaliste dans la société n’est pas de dire au pouvoir en place ce qu’il doit faire ou ne doit pas faire ; pas plus qu’elle n’est de former le citoyen en lui disant ce qui est bon ou ce qui est mauvais. Le rôle politique du journaliste est d’informer le plus objectivement possible, quitte au citoyen d’utiliser ou non l’information pour définir la conduite qu’il juge bon de se donner en tant que citoyen.
Mais au-delà de tout cela, c’est à chaque électeur et électrice de la mouvance de l’opposition de se poser plus que jamais la question suivante : allons-nous continuer d’aller indéfiniment à des élections conçues et organisées pour empêcher l’alternance politique ? Car après tout, ce sont les électeurs qu’on exhorte de part et d’autre à aller déposer le bulletin de vote dans l’urne au profit de tel ou tel autre candidat ; ce sont eux qui font ainsi le destin du pays, en bien ou en mal. Il faut qu’il vote en toute conscience et en toute connaissance de cause. D’où la nécessité et l’urgence de ce débat politique pour créer les chances d’une politique alternative d’opposition.
Changer de politique d’opposition
Il n’est pas inutile de rappeler que la CDPA-BT a été le seul parti d’opposition a :
• demander à ses membres et sympathisants de refuser d’aller à ces élections du 4 mars 2010, les chefs du courant dominant de l’opposition n’ayant pas réussi à imposer au régime les conditions de l’alternance politique ;
• prévenir qu’en allant aux élections dans cette situation, les responsables de ce courant vont encore faire le lit du régime, comme ils l’ont toujours fait ;
• dire que le refus d’aller à ces élections sur le principe du boycott actif fait partie de la lutte pour l’alternance politique,
• demander de repenser ensemble la lutte d’opposition pour trouver une politique d’opposition plus efficace…
La CDPA-BT réaffirme une fois de plus qu’après cinq élections présidentielles, qui ont à chaque fois conduit la lutte pour la démocratie dans le mur, il importe que l’opposition démocratique se donne une politique d’opposition différente de celle conduite jusqu’à présent par le courant majoritaire. Dans ce sens, elle avait proposé, depuis huit ans, le MFAO comme une solution de rechange possible permettant d’impliquer massivement la population dans le processus politique.
On ne peut pas prétendre lutter pour le changement politique en continuant de laisser la masse de tous ceux qui y aspirent sur la touche, en les réduisant au rang de simples spectateurs.
Lomé, le 04 Mars 2011